Si vous vous transportez cinq milles ans en arrière, et que vous mouillez timidement le pied dans le Delta du Nil dont la douce température vous enchante, vous faîte certainement partie des premiers sédentaires qui ont fondé la Haute et la Basse Egypte. Depuis lors, ce pays aux terres si fertiles a tout connu, la grandeur d’une culture novatrice, une hégémonie de près de trois millénaires sur le sud est méditerranéen, un lent déclin achevé par Alexandre le Grand, une traversée du désert de près de deux milles ans d’occupation romaine, arabe, française puis britannique avant son indépendance ! Le tout ponctué par des histoires légendaires et des caprices mythiques. Ou le contraire. Deux périodes en particulier semblent toutes indiquées pour illustrer le propos.
La grandeur des pharaons amorce son déclin en 1000 av JC quand les Lybiens et les Ethiopiens multiplient leurs incursions. L’Egypte a du mal à faire coexister les nombreux peuples qui la composent. En proie à de nombreuses guerres intestinales, elle se désorganise de plus en plus et frôle l’anarchie en 300 av JC. Accompagné de ses fidèles généraux, Alexandre le Grand repousse les armées envahissantes et met de l’ordre au sein du pays. Il fonde, comme il avait coutume de le faire, une nouvelle capitale : Alexandrie. Aucun caprice n’est trop grand pour lui. Hélas, en 323 av JC, Alexandre décède et son empire cherche un successeur. Ses douze généraux se disputent sans merci chaque partie de son empire, comme des enfants capricieux autour d’un héritage. C’est finalement Ptolémée qui s’empare de l’Egypte. Il concilie alors la culture grecque aux traditions ancestrales égyptiennes et fonde sa dynastie. Les Ptolémées se suivent et se ressemblent jusqu’au XIVème. De l’autre côté de la Méditerranée, on assiste alors à la fulgurante ascension d’un général romain qui vient de soumettre la Gaule et essaye d’écarter les deux autres personnes avec lesquelles il règne au sein du triumvirat : Jules César. Ce dernier lorgne bien évidemment sur l’Egypte, véritable grenier à blé qui pourrait nourrir toutes les provinces romaines et empêcher les pénuries, assez récurrentes à l’époque. La chance sourit à Jules César lorsqu’un des deux autres membres du triumvirat, Crassus, meurt en campagne, capturé par l’ennemi. Crassus aimait tellement l’or que son ennemi lui fit couler le précieux métal en fusion dans le gosier pour tenter d’apaiser son intarissable faim, sans succès. La popularité et le charisme de César étaient tels que Ptolémée XIV crut alors judicieux, afin de s’attirer les bonnes grâces de Jules, de faire assassiner Pompée, troisième et dernier membre du triumvirat, qui était en fuite en Egypte. Ce meurtre eut l’effet inverse et mit César en colère car Pompée avait été tué lâchement. Le futur empereur s’invita alors en Egypte et tua Ptolémée XIV en 44 av JC. Il découvrit ensuite la jeune sœur de ce dernier, Cléopâtre VII, dont la beauté et la capricieuse habitude de ne se baigner que dans du lait de chamelle a traversé les siècles, et fut séduit. Il l’épousa et elle eut la politesse de lui donner un fils, Ptolémée XV Césarion.
Après le fameux meurtre de César en 33 av JC, deux prétendants au titre de César s’affrontèrent pour prendre sa succession. Marc-Antoine répudie alors la femme de son opposant Octave qu’il avait épousé pour lui garantir son soutien, et se marie avec Cléopâtre. Il livre à la belle princesse une partie de ces conquêtes, Syrie, Chypre, Judée, Phénicie, pour assouvir un de ses légendaires caprices. Octave défait finalement Marc-Antoine lors de la bataille navale d’Actium en 31 av JC. Marc-Antoine fuit avec sa femme à Alexandrie et se donne la mort. Elle le suit bientôt en se faisant mordre par un aspic. Octave devient alors l’Empereur Auguste et fait de l’Egypte une province romaine.
« Mais pourquoi cette province est-elle différente de toutes les autres provinces ? » demandait Tibère à son père adoptif Auguste. Les raisons étaient multiples : le préfet de l’Egypte était choisi directement par l’empereur et non par une assemblée sénatoriale, le grec restait une langue très utilisée, les romains n’ont pas colonisé l’Egypte et adoptèrent même leurs divinités et certains de leurs cultes. Il semble que l’admiration imposée par l’histoire de ce pays force le respect.
Faisons nous grâce maintenant du démembrement de l’Empire Romain, de la prise de pouvoir ottomane au VIIème siècle, de la brève période mamelouk à laquelle Napoléon mis un terme, de la période des pachas et enfin arrivons à la fin de l’occupation britannique, qui avait fait de l’Egypte un protectorat dès 1914. Nous sommes donc en 1953, Gamal Abel Nasser (cf article suivant) participe à un coup d’état militaire qui renverse le roi Farouk Ier, dont la défaite contre Israël en 49 et l’acceptation de la présence britannique à Suez avait fourni un vaste socle d’unité pour l’opposition. Il évince ensuite son collègue putschiste Néguib et devient le second président égyptien. Dès son accession au poste de président, Nasser opte pour une politique socialiste forte en nationalisant les grandes compagnies industrielles, notamment textiles. En 56, il nationalise le Canal de Suez pour financer un barrage sur le Nil. Le Royaume-Uni, la France et Israël lancent une offensive mais doivent se plier aux exigences de l’ONU qui donne raison au petit caprice de Nasser. Progressivement, le Raïs (chef) tourne le dos aux USA et se rapproche de l’URSS ; il forme en même temps la République Arabe Unie, sorte d’utopie pan-arabique impossible.
Nouveau caprice, en 67, à destination d’Israël. L’Egypte, de concert avec la Syrie, prépare une lourde offensive aux frontières de leur voisin commun. Israël se jette en premier dans la bataille en infligeant à ces deux pays, rejoint quelques jours plus tard par la Jordanie, une défaite historique en repoussant chacun des opposants loin dans son pays. A la suite de cette guerre (dite « guerre des six jours », en rapport avec sa durée temporelle), le Canal de Suez sera fermé jusqu’en 75. Une crise cardiaque fait passer Nasser de vie à trépas et son vice-président, Anouar el-Sadate, de second à premier en 70. Ce dernier oeuvra pour la paix avec son voisin israélien et recevra avec Beghin, le prix Nobel pour la ratification des accords de Camp David en 78. Il en tira une grande satisfaction jusqu’à ce qu’il goûte au revers de sa médaille en 81 où des islamistes mitraillèrent la tribune où il siégeait. Hosni Moubarak, blessé à la main à cette occasion, succéda à Sadate et opère un repositionnement vers la ligue arabe, dont il se rapproche. Les mouvements islamiques se développent et multiplient, durant les années 90, des attentats envers les touristes ; ce qui fera largement chuter l’activité qui génère près du tiers des revenus de l’Egypte…
L’Egypte connaît donc aujourd’hui un régime qui voit la montée en puissance des courants islamiques, incarnés par le partie des Frères Musulmans, et la statistique abasourdissante que neuf femmes sur dix ont bénéficié d’une excision… On se rappelle avec amertume le fameux mot de Napoléon pour responsabiliser ses soldats avant une bataille en arrivant en Egypte : « Soldats, songez que du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent ». Si c’est le cas, la plupart des momies qui y sont abritées doivent se retourner dans leur tombe…
D.A. – CC11 « Les Caprices» – Avril 2008
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