Pendant des centaines de milliers d’années le travail visait uniquement à survivre : chasser, pêcher, fabriquer des vêtements chauds, se protéger des prédateurs… Hormis les 10-20 heures hebdomadaires consacrées à ces activités, l’homme passait le plus clair de son temps dans un état d’oisiveté. Le passage au néolithique ne change pas vraiment la donne : le travail de la terre permet à l’humanité de survivre en plus grand nombre, mais en dehors de ça l’homme continue surtout à « glander ». L’âge industriel et la montée de la bourgeoisie voient la popularisation des loisirs et du divertissement. Mais le moteur de l’économie reste la guerre : jusqu’à 1945 la plupart des hommes travaillent pour tuer d’autres hommes.
Depuis la société s’est transformé du tout au tout en très peu de temps. La guerre, ainsi que la majeure partie du travail anciennement manuel, sont désormais dévouées aux robots. Le moteur de l’économie est désormais le caprice. L’individu s’ennuie de plus en plus facilement et exige une stimulation constante et sans cesse renouvelée; désormais les hommes travaillent surtout pour amuser d’autres hommes. Tout le monde ne s’occupe pas à jouer dans des films ou à faire le clown dans la rue, mais la plupart des activités s’inscrivent dans une chaine aboutissant au divertissement d’autrui. Le luxe, le tourisme, l’esthétique, la restauration, le spectacle, l’art, le cinéma, la musique, et le jeu vidéo, entre autres, sont des industries dédiées à 100% à la satisfaction des caprices. Pour que le peuple se délecte de tous ces plaisirs, il lui faut un espace et un système de transport adéquats, ainsi des industries telles l’aéronautique, l’immobilier et le BTP doivent une grande partie de leur business à une population qui demande de plus en plus à être gâtée. On peut même soulever la question par rapport à la médecine : les nouveaux progrès sont-ils « nécessaires », ou relèvent-ils de nouveaux caprices ?
Mettons de côté ces caprices de « riches ». Le deuxième phénomène spécifiquement humain le plus répandu, derrière le langage (de peu) et devant la religion (de loin), est le vice. La prostitution, les substances psychotropes, et le jeu de hasard sont vieilles comme l’humanité. Mais aujourd’hui le crime organisé a pris une ampleur jamais atteinte. Les nouvelles technologies de communication ont facilité le blanchiment d’argent, alors même qu’augmente l’étendue du territoire échappant au contrôle de l’Etat et devenant le terrain de jeu des réseaux mafieux. Cependant, si le vice se propage, c’est aussi parce qu’il devient de plus en plus toléré par la société. Depuis que la bourgeoisie a entamé la décomposition du clergé, la croissance économique va de pair avec la libération des mœurs. Bien que les Etats-Unis soient un cas discutable, à aucun moment il n’y eut un regain durable de conservatisme. Aujourd’hui les casinos en ligne, la dépénalisation des drogues douces, la pornographie, et des réseaux de rencontre de plus en plus coquins perpétuent la tendance.
Notre civilisation repose entièrement sur notre appétit insatiable, et tiendra en équilibre aussi longtemps que continueront à se manifester de nouveaux désirs réalisables. Dans l’état actuel on ne sait pas s’organiser autrement. Cependant il n’est pas exclu que les jeunes d’aujourd’hui voient un jour la mise en place de fondations nouvelles, que ce soit par une prise de conscience collective ou une réaction à une crise majeure. Pour ce faire il faudra mesurer la richesse et le dénuement différemment, et nul doute que la redéfinition des caprices sera au centre de notre évolution.
C.F. – CC11 « Les Caprices» – Avril 2008
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