jeudi 27 janvier 2011

Cinéma et courtoisie: une synesthésie?

«Mais vous n'êtes pas un gentleman!
- Et vous, vous n'êtes pas une Lady!...»

Ainsi furent les premiers mots que s'échangèrent Scarlett O'Hara et Rhett Butler dans le sublime Autant en emporte le vent de Victor Fleming (1950). Peu de temps après ils se marièrent mais n'eurent pas la chance d'avoir beaucoup d'enfants...  Mais dans ce cas précis, ce n'est pas le jeu de Cour qui a permis le rapprochement de deux êtres aussi peu ouverts à ce que pouvait leur offrir la vie. C’est au contraire, son absence qui a instauré, entre eux, ce qui sera par la suite une constante dans leur relation, une mise au défi de la supériorité.

 La courtoisie, rappelons-le, désigne l'ensemble des bonnes manières à adopter dans un but de séduction. Mais elle est aussi considérée, à juste titre, comme étant l'apanage de la haute-société. 
Elle a donc ce statut particulier, au cinéma, d'être prétexte au malaise le plus cocasse ou au romantisme le plus conformiste. Quoiqu'il en soit et, on l'aura déjà compris la courtoisie se présent e souvent comme un vecteur de la rencontre.

Dans le cinéma américain, jusque dans les années 1930, la courtoisie permet la rencontre amoureuse. Des images nous reviennent en tête d'une femme à la beauté erratique  portant une cigarette à ses lèvres et d'un armée de bras portant chacun d'un briquet autour de la belle. Ou du geste, presque exotique, de nos jours, de l'homme couvrant les épaules de sa protégée avec son pardessus. La courtoisie conditionnait réellement les rapports hommes/femmes de l'époque et dessinait par là une image idéale de l'homme responsable attentionné et courageux, et de la femme fragile et sensible.

Ainsi le couple chez Hawks (Qu'elle était verte ma vallée, Le port de l'Angoisse), ou chez Hitchcock (Pas de printemps pour Marnie, La Maison du Dr Edwards), sont marquées pas des relations conventionnelles ou la femme, même fière et se voulant indépendante, finit toujours par se faire appel à l'homme qui s'est montré si dévoué à elle. Le mari, l'amant est éminemment protecteur. Cependant, Hitchcock saura s'éloigner de ces poncifs, et notamment avec Fenêtre sur cour (Rear Window), dans lequel le photographe interprété par James Stewart, se retrouve paralysé dans un fauteuil roulant et se fait dorloter par la ravissante Grace Kelly. Se trouvant dans un position d'infériorité et d'impuissance par rapport à cette dernière, il se montre particulièrement dur et rustre.  Comme s'il reportait sur elle sa colère de ne pouvoir remplir ses devoirs d'amant-protecteurs.

Mais le rustre peut précisément, dans ce cas, incarner la figure du comique par le décalage qu'il peut  provoquer avec les «bonnes manières» de la belle. Dans  1,2,3   de Billy Wilder, la fille du patron de Coca-Cola, à Berlin-Ouest, ramène de sa fugue, ce qu'elle désigne comme étant l'«amour de sa vie». 
Cet inconnu pour la famille s'avère être un bolchévique, sale, bourru et obsédé par l'idée de la révolution, s'attirant par-là les foudres de son futur beau-père. Mais c'est le cinéma néo-réaliste italien qui excelle dans la représentation de l'anti-courtoisie, donnant à voir une réalité difficile, parfois choquante, des relations hommes/femmes. Chez Fellini, Zampano (Steve McQueen??) vient chercher la très jeune Gelsomina  (Giulietta Masina) pour en faire une saltimbanque comme lui et lui fait comprendre qu'elle doit oublier l'insouciance de sa vie d'avant en la violant (La Strada). Chez ce cinéaste, l'homme trompe (I Vitelloni, La Dolce Vita) et fantasme  (La città delle donne- La cité des femmes-) constamment sur les femmes qu'il ne peut plus avoir maintenant qu'il est marié. Et la femme devient l'objet de sa convoitise mais aussi la femme objet, qui, par sa soumission et sa crédibilité, fait de son partenaire un acteur dans tous les sens du terme.

Aujourd'hui, la courtoisie est la figure du kitsch par excellence dans un cinéma grandi des idées révolutionnaires de la Nouvelle Vague. Cette période, riche de cette révolution des moeurs en mouvement dans les sociétés occidentales, transpose sur la pellicule ce désir d'égalité hommes/femmes et de liberté sexuelle. Ainsi dès les années 1960, en plus encore dans la décennie suivante, la courtoisie n'est dotée que de visées parodiques ou comiques et des réalisateurs comme Jean-Luc Godard prennent un malin plaisir à mettre enchaîner des répliques d'un romantisme presque fleur-bleue et des «j'voudrais bien coucher avec vous», comme dans  Une femme est une femme, film dans lequel Alfred voudrait coucher avec Angela la femme de son meilleur ami Émile, ce qu'utilise Angéla pour faire du chantage à son mari. Chez Jean Eustache (La Maman et la Putain 1973) la finalité sexuelle de la cour, sont clairement assumés et dévoilés aux partenaires dès le premier contact, ce qui donne à l'apparition de l'amour une violence d'autant plus surprenante qu'il n'était pas prévu initialement.

La courtoisie participait pleinement à l'industrie du rêve qu'était le cinéma en créant des Princes Charmant, des belles plantes ravies de se faire tenir les portes ou couvrir les épaules par un grand pardessus. Il demeure intéressant de voir comment sa déformation a abouti à une représentation plus exacte des rapports de genre dans la réalité. De quoi se poser des questions sur nos conceptions actuelles de la drague. De plus, le cinéma n'est-il pas, lui non plus, un art de la séduction en laissant au spectateur, pendant quelques heures, l'illusion que «je est un autre»?


E.C. – CC8 « La Courtoisie» – Janvier 2008

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