mardi 17 mai 2011

THOR, ou l’Œdipe social passé marteau-pilon

A rebours des adaptations récentes de BD de super héros en super collants qui se bornent à vanter tour à tour la vermine capitaliste, l’idéal élimé d’une Amérique symbole de Liberté ou un encore machisme extrême et vulgaire qui nous plait tant, Kenneth Brannagh, ex-Hamlet égaré, nous prend à contre-pied avec un film de légendes qui paraît plus long que les steppes sibériennes dont il est issu mais qui en réalité possède l’envergure et la chaleur des plus grands ours polaires.

Donald Woods Winnicott, résolu
Avec brio, Ken Brannagh nous dévoile dès les premières minutes le nœud gordien de ce qui s’apprête à être un véritable thriller psychologique : un seul des deux princes héritiers pourra monter sur le trône et succéder à son père, le Roi Odin, cyclope barbu, campé par un Anthony Hopkins dont le jeu patriarcal n’est pas sans rappeler la moue de certains rabbins orthodoxes des états baltes. Tandis que le silence coupable de la mère, qui apparaît en contrepoint deux ou trois fois dans le film, n’ôte rien à ce vide affectif grandissant, chacun des deux enfants cherchera à exorciser à sa manière cette infantilisation : Thor à grâce à son marteau, véritable objet de transfert Winicottien, symbole de la puberté nordique dans ce qu’elle a de plus plat et de plus blanc, et Loki, son frère, éternel second, à travers ses pouvoirs magiques, support invisible et impalpable de cette sexualité latente jamais avoué. Sans doute pour souligner l’immatérialité de son désir incestueux envers son frère et certainement nimbé de la rivalité gauloise et franche pour le droit d’ainesse ? Alors Thor, péplum biblique ?

Eh bien non ! Brannagh va encore plus loin. Il abandonne les courtes jupes traditionnelles des gladiateurs, renversant ainsi les mœurs de l’époque, et dépasse encore cette problématique fratricide digne d’Abel et Caïn en y ajoutant une véritable satire sociale. En effet, les trois mondes décrits dans le film, sont repris en véritable archétype des classes sociales. Asgard, le Beverly Hills des Dieux, propre et doré, à l’atmosphère chaleureuse, s’oppose au monde glacial des créatures sombres aux yeux rouges de Jotunheim, terrible avatar d’une terre stérile peuplée de misérables sans scrupules : les pauvres, qui désespèrent de pouvoir pénétrer dans l’autre monde si riche pour récupérer leur pouvoir qui y est jalousement gardé.

Thor-tendu
Là encore, Brannagh régale avec des personnages complexes. Bien que riche, Thor est insolent. Ce qui le conduit à l’exil sur Terre, dépourvu de pouvoirs, tel un Œdipe aveugle errant dans le désert thébain après avoir lui aussi bafoué son père. L’artifice paternel le pousse à exercer une véritable actualisation nietzschéenne de sa volonté qui aura raison de l’Indestructible Machine divine, inexorable couperet qui rappelle le Temps dans sa dimension la plus bergsonienne. Tel un Achille fier son de son invincibilité, Thor se transcende pourtant dans une ultime praxis pour se transfigurer en un Christ bodybuildé, qui s’oublierait tout à fait ne fut-ce pour ses deux amours : Natalie Portman, qui incarne avec crédibilité une Prix Nobel d’Astrophysique aux faux airs de campeuse orpheline du Nouveau Mexique et celui de son marteau adoré, dont l’usage libidineux et brutal le refait plonger innocemment en enfance.




C’est finalement avec légions d’éclairs et grands renforts de tourbillons savamment distillés que les personnages parviendront à résoudre leur problématique. Le frère n’en était pas un ! Véritable coup de théâtre qui fait l’effet d’une césarienne opportune à ce nœud gordien indéfectible. La vision du monde ainsi offerte par Brannagh est en cela néo-néo-réaliste. Dans une réalisation tout à fait scandinave, il pourfend ainsi les clichés de conclusion: les pauvres sont condamnés à errer sur leur planète sans espoir d’en jamais sortir, et les riches également. Le fameux to be or not to be ? Le tout agrémenté de dialogues tout aussi mythologiques que le sujet du film. On pense notamment au fameux « He drank, had a fight, made his ancestors proud ».

En un mot, un film qui semble avoir bien plus que trois dimensions, et dont l’univers visuel stendhalien fait rejaillir à la perfection les problématiques post-keynesiennes d’une société en perdition dont les stigmates d’une peur dépassée par ce qu’elle engendre conduisent infailliblement à donner raison tantôt à la Raison et tantôt à Thor.

D.A. - mai 2011