1994, Fnac Ternes. Un petit futur culturecubiste se perd dans les rayons sans fin alors déjà remplis exclusivement de CDs. Bien décidé à rompre, à 10 ans, avec ces 3 années de musique classique sous perfusion, il est temps d'aller vers des choses plus dures, ou bien sinon plus dansantes. C'est avec un profond mépris pour ces chansons mièvres et douces qui parlent d'amour que notre petit mec roule des mécaniques pour se hisser sur la pointe des pieds et attraper de justesse Metallica «And Justice For All», Nirvana «In Utero» et Dance Machine 3 (j'assume totalement et j'ai même gardé un certain faible coupable pour les East 17). Sur les rayons voisins, ces slows, ces chansons d'amour, ces balades… de la guimauve!
Le petit garçon n'a pas totalement tort, il est vrai que les belles chansons d'amour sont extrêmement rares. Loin d'un mépris pour tous les artistes qui ont manqué leur coup, nous exprimerons toute notre compréhension. L'exercice est en effet des plus ardus, étant donné que le sujet est battu et rebattu, et nos oreilles noyées de mots d'amour, de déclarations et de complaintes de cœurs brisés à longueur d'écoutes sur les ondes, sur les disques et autres iPods. Ce salaud de Rob Gordon, héros du film Hi-Fidelity (tiré du roman de Nick Hornby du même nom), sait nous le rappeler dès les premières répliques du film : «Nobody worries about kids listening to thousands, literally thousands of songs about heartbreak, rejection, pain, misery and loss. Did I listen to pop music because I was miserable? Or was I miserable because I listened to pop music?». Question piège ! D'ailleurs, si on écoute attentivement cette prodigieuse compilation qu'est Dance Machine 3, on pourra distinguer le mot «Love» très exactement 48 fois en une heure et dix minutes. Ce n'est pas loin d'une fois toutes les 40 secondes… Effrayant! Outre le facteur «nausée», on évoquera encore le facteur «complexe du parolier pop». On se plaindra donc de la faible étendue du vocabulaire se pliant aussi bien aux exigences du commun des mortels qu'à celles des rythmiques simples et carrées où l'on plaque les quelques accords mineurs censés faire fondre nos glandes lacrymales.
Face à ce monde de difficultés, le parolier pop et son ami le compositeur finissent par se laisser aller à une certaine pudeur, en cachant les véritables sentiments amoureux derrière un rideau tissé de tous les lieux communs de la chanson d'amour, vendus en kit et même téléchargeables sur le net pour une bouchée de pain. L'ultime chanson d'amour serait donc à chercher dans les endroits où on n'aurait pas idée la trouver : dans de vieux albums disco engourdis, dans des disques de métal des années 80, dans des perles punk new-yorkaises des années 70, dans des disques de techno sans paroles, dans des improvisations de free-jazz. La sincérité brute de ces morceaux qui n'ont pas l'intention de décrocher ce petit pincement au cœur, mais plutôt une émotion violente, pourraient en définitive être les chansons d'amour parfaites. Le petit culturecubiste de 1994 n'avait donc pas tout à fait tort. D'ailleurs «Heart-Shaped Box», sur In Utero, est une excellente illustration de notre propos : à la fois violente et sincère, c'est une chanson qui parle à la fois d'avortement, de dépendance amoureuse et de mort. Le grand frisson. A côté, «Love» de John Lennon (excellent exemple de la chanson d'amour ratée) se retrouverait facilement reléguée au catalogue des comptines pour enfants. Pour finir, il faudra bien faire une petite concession après le ramassis de mauvaise foi et d'esprit de contradiction qui précède : il existe de superbes chansons d'amour. Celles qui provoquent, dès les premières notes, ce frisson glaçant qui remonte la colonne vertébrale à la vitesse de la flèche de Cupidon, celles qui donnent des ailes ou encore qui nouent le cœur pour quelques jours.
Avec ces absurdités que vous venez de lire ci-dessus, on voulait simplement attirer l'attention sur l'absolue nécessité de sincérité et de violence dans les sentiments dévoilés par une chanson d'amour réussie. À ce titre, on essaiera de conclure en citant une très belle chanson d'amour - que dis-je - un véritable chef d'œuvre ! Une chanson d'une grande cruauté - par son sujet : l'infidélité et la résignation – et teintée d'une mélodie et d'une couleur pleines de désespoir et d'abandon à la fois. Nous laissons donc place à cette chanteuse et pianiste de génie qu'était Nina Simone, pour sa chanson «Don't Explain »...
J.H. – CC9 « L’Amour» – Février 2008
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