De Michel Houellebecq
La technologie, la religion, l’économie, le sexe, le divertissement, les relations sociales… les œuvres de Houellebecq sont truffées d’observations et de réflexions sur ses thèmes de prédilection. La possibilité d’une île, espèce de satire socioreligieuse, ne déroge pas à la règle.
La mort, puisque c'est le thème du mois, est un des fils rouges de l'œuvre, accompagnée de ses camarades : le vieillissement et la dégénérescence.
Le roman est très marqué par la Canicule de la première quinzaine d'août 2003. Catastrophe sanitaire pour certains, remise en question des rapports entre générations pour d'autres. Agoniser seul et finir dans un tas de cadavres anonymes entassés dans des morgues surchargées en été : l'avenir du vieillissement ressemblera fortement à ça.
Tout le long de l'œuvre s'opère une alternance entre notre époque, narrée par Daniel, espèce de comédien quadragénaire nihilo-dépressif en pleine "mid-life crisis", et l'époque narrée par son clone dans 24 générations. Les tendances à l'isolement et au déchirement du lien social se sont perpétuées au point d'abolir la famille et la communauté. L'individu nait, vit, et meurt seul. Il passe sa vie dans sa cellule à méditer sur les mémoires de ses clones prédécesseurs, il n'est ni heureux ni malheureux, ni amoureux ni rancunier. La société de consommation n'est plus, suivant une série de "Grandes Diminutions", terme désignant les catastrophes écologiques ayant décimé l'humanité et mené à la pénurie.
Comment pourrait-on en arriver là? Le roman pose implicitement le problème d'un des dysfonctionnements principaux de l’Occident, observé depuis le milieu du 20ème siècle: la mort progressive de la famille. Dans le Meilleur des Mondes de Huxley, cette tendance aboutit au 26ème siècle à un monde où la production en masse orchestre toute l'économie, y compris la procréation. L'initiative personnelle et le sens des affaires ont disparu. La stabilité sociale et le contrôle étatique par la caste scientifique au pouvoir repose sur la satisfaction de tous les désirs: sexe, drogues douces, amitié, nourriture, logement. La famille n'existe plus, mais contrairement à la « dystopie » de Houellebecq, le principe de communauté est un pilier de la société. L'isolement et l’individualisme sont en fait fortement découragés. Les castes inférieures, maintenues dans l’ignorance, vivent dans la joie. Les gens meurent « heureux » car sans arrêt satisfaits et bien entourés.
70 ans après la parution du Meilleur des Mondes, notre modèle économique montre des limites; on a de plus en plus de mal à imaginer un avenir d’abondance. En parallèle, le déchirement du lien familial se poursuit et le vieillissement est vécu de plus en plus en solitaire. Pour présenter un cas extrême qui en dit long sur le cas moyen, lorsqu'un journaliste demande à la fille d'une victime de la Canicule pourquoi elle n'est pas rentrée porter secours à sa mère, elle répond "j'étais en vacances".
Ce n’est pas une histoire de riches et d’enfants gâtés. La majorité de l’humanité vit dans des sociétés où le respect des anciens est fondamental, que la famille soit riche ou pauvre. Les enfants rendent visite à leurs parents quasi-quotidiennement, souvent même les hébergent jusqu’à leur décès. Les funérailles d’un oncle éloigné rassemblent des proches par centaines.
L’Occident vieillit. On ne peut pas placer tous les seniors de plus de 60 ans dans des maisons de retraite. Ils représenteront un tiers de la population vers 2030. Il n’y aura tout simplement pas assez d’infirmières, entre autres. Mais rien n’est irréversible, tous les phénomènes sociétaux fonctionnent en cycles aux oscillations plus ou moins marquées. L’Occident a-t-il besoin de tester ses limites avant de revenir à un équilibre? Le déclin économique, si déclin il y a, poussera-t-il les gens à se replier vers la famille pour chercher du soutien?
C.F. – CC6 « La Mort» – Novembre 2007
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