mercredi 26 janvier 2011

La guerre et le progrès

Depuis la Première Guerre Mondiale, la frontière entre le militaire et le civil est difficile à tracer. Si beaucoup de dépenses militaires ont clairement pour seul but de détruire, d’autres ont des effets collatéraux sur le progrès scientifique et technologique : physique, chimie, aéronautique, astronomie, informatique, biologie…Lorsqu’on cherche à anéantir l’ennemi, on parvient souvent par accident à construire quelque chose d’utile une fois la guerre terminée.

Jusqu’au 20ème siècle, le financement de la science par l’armée reste limité : des inventeurs et scientifiques indépendants concevaient d’abord leurs armes, avant de rechercher le soutien de l’armée. Seul le progrès en technologie navale, qui nécessitait un effort concerté à grande échelle, et qui est le résultat direct du développement des cuirassés, peut être attribué à la recherche militaire.

Lors de la Première Guerre Mondiale, alias « La Guerre des Chimistes », l’Europe est secouée par l’utilisation de gaz toxiques. Les Allemands étaient à la pointe de la technologie, leur industrie de teintures étant la mieux développée au monde. De plus un embargo naval limitait leurs provisions en nitrates, utilisé pour les explosifs, les poussant vers l’alternative chimique. Suivant une attaque au chlore des Allemands an Mai 1915, les Britanniques recrutèrent les plus grandes pointures de la chimie pour riposter. Ainsi l’escalade de l’horreur donna naissance, entre autres, aux terrifiants gaz lacrymogène et gaz moutarde. Cependant, on comprend de mieux en mieux les lois de la chimie : aujourd’hui l’Allemagne reste au centre de l’industrie de produits chimiques, désormais entièrement dédiée à des fins commerciales. Un petit instant cocorico : la France, durant la Grande Guerre, avait la météorologie la plus avancée. Le rôle du vent et de la pluie étant essentiel lors d’une attaque chimique, il fallait à tout prix comprendre ces phénomènes. Ainsi l’armée contrôlait entièrement l’infrastructure météorologique française.

La Deuxième Guerre Mondiale est celles des physiciens. Les progrès en balistique servirent d’abord à concevoir des missiles V2 et autres armes de destruction massive, mais à terme cette science mena à la conquête de l’espace par les satellites. Il fallait maitriser la physique des ondes pour développer le radar et détecter la présence ennemie, mais depuis le temps toute une série de technologies en a dérivé : réseaux sans fils, le four à microondes, semi-conducteurs, navigation, radiologie etc… Mais c’est bien le Projet Manhattan qui marqua la recherche scientifique de l’époque, le projet militaire le plus grand et le plus rapide de l’histoire : 75,000 personnes mobilisées dans le trou paumé d’Oak Ridge au fin fond du Tennessee entre 1942 et 1945 ; une véritable ville bâtie du jour au lendemain avec écoles, restaurants, théâtres et tout ce qu’il fallait pour attirer les plus grands physiciens américains et britanniques. Ils sont fous ces Américains... Mais aujourd’hui, si on ose espérer éviter un holocauste nucléaire, le nucléaire civil fournit près de 80% des besoins en électricité de la France, et de nombreux projets sont en cours de par le monde.

Depuis le début du 20ème siècle l’économie des Etats-Unis est stimulée par la guerre. La plupart des découvertes scientifiques et inventions technologiques qui font la puissance du pays découlent de la recherche militaire. Cette règle garde tout son sens durant la Guerre Froide. Le secteur militaire était, et reste, le soutien le plus important de la recherche universitaire. En informatique, l’exemple le plus célèbre demeure ARPANET, développé par le US Department of Defense, un projet lancé en 1967 par l’US Department of Defense. Il est le premier réseau à transfert de paquets, et considéré comme l’ancêtre d'Internet. Plus méconnu mais impact tout aussi considérable, le Whirwind est le premier véritable ordinateur, créé entre 1947 et 1951 à l’université de MIT. C’était en fait un projet militaire ayant mené directement au développement du système de défense aérien Semi-Automatic Ground Environment (SAGE), et plus tard à l’invention des microordinateurs.

Aujourd’hui, le domaine de recherche le plus crucial est devenu celui de l’énergie, qui n’intéresse guère la sphère militaire. En revanche, une autre technologie d’avenir, la nanotechnologie, reçoit énormément d’attention et de financement. La nanotechnologie cherche à fabriquer des particules dont la taille équivaut à un millième de l’épaisseur d’un cheveu. Théoriquement les applications sont infinies. L’Institute for Soldier Nanotechnologies est un projet mené par le MIT et le complexe militaro-industriel américain (Pentagone, DuPont, Raytheon etc…) depuis 2002, dont le but déclaré est de fabriquer des uniformes plus légers et résistants aux microbes, ou encore des appareils médicaux qui agissent alors que le soldat est au combat. Mais les spéculations vont bon train : théoriquement on pourrait développer des nanoparticules capables de contaminer et d’anéantir une civilisation entière, ou encore des nanorobots qui tuent en silence. On peut espérer cependant que la nanotechnologie, qui en est encore à ses premiers balbutiements, aura des effets positifs sur la médecine, l’agriculture, ou encore la communication. Bref, les effets spillovers de la recherche militaire sont loin d’être terminés.

C.F. – CC10 « La Guerre» – Mars 2008

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