De Erik Orsenna, 2006
La plupart des ressources prisées par la société moderne ont la particularité d’avoir des sites de production disposés de manière aléatoire géographiquement, à l’image du pétrole, de l’eau, de l’or, de l’uranium, du cuivre, des diamants ou de bien d’autres encore. Mais le coton, comme le pavot ou les femmes, a cette particularité économique de pouvoir être cultivé n’importe où, sous réserve d’un climat et d’une main d’œuvre suffisamment propices à l’exploitation. Erik Orsenna, cet écrivain français de 61 ans, cotonophile de son propre aveu, retrace dans ce livre l’histoire de cette fibre aux propriétés presque magiques. Reprenant brièvement l’histoire du coton, il effectue ensuite un petit tour du monde en faisant étape dans les principaux pays producteurs. Ainsi, celui dont les flasques fesses remplacent désormais celles, si joliment sculptées, du feu bien-aimé Commandant Cousteau sur le siège n°17 de l’Académie Française, nous explique, dans un style conversationnel désinvolte dont l’inutilité du propos insulte parfois le peu de temps nécessaire à sa lecture, les rouages puissants qui tiennent les pays dans leur situation, chacun ayant ses forces et ses faiblesses.
Nous apprenons ainsi comment les Anglais décidèrent de lancer massivement la production de coton dans leurs nouvelles colonies tout en gardant les usines de traitement autour de Liverpool, ce qui nécessita une large main d’œuvre « empruntée » au Niger et pays limitrophes. Comment l’Egypte put lancer sa production au milieu du XIXème siècle en profitant de la chute de productivité américaine du fait de la perte de cette même main d’œuvre pendant la Guerre de Sécession. Comment le Mali et le Burkina Faso luttent pour produire au plus bas coût possible pour rester compétitif et souffrent la moindre variation du prix de la blanche fleur. Comment l’ogre Brésilien conjugue ressources inépuisables avec une R&D inventive digne des meilleurs auteurs de science fiction. Je ne résiste d’ailleurs pas à l’envie de vous dire qu’il est fait mention de l’intégration de certains gènes d’une espèce d’araignée ou alors de méduse au patrimoine génétique du coton pour le rendre plus résistant dans un cas, ou phosphorescent dans un autre...
Comment les Etats-Unis tentent de maintenir leurs aides aux producteurs américains, biaisant ainsi la main invisible et l’ajustement normal des prix pour imposer leur coton moins cher et se protéger des variations du marché. Ou encore comment l’Ouzbékistan gère une industrie qui génère 40% de son PIB en exploitant, sur les vestiges d’une dictature communiste, un peuple jugé par l’auteur dégarni également de tous préjugés, généreux et paisible à cause des plaines infinies qui l’enveloppent dans un silence monacal. Comment enfin, le rude périple de notre Marco Polo Goncourt 88 s’achève dans la capitale mondiale de la chaussette à Datang, au sud de Shanghai pour nous montrer la folle cadence que la Chine impose à son réservoir humain, trouvant toujours un plus pauvre que pauvre pour accepter un travail acharné et mal dédommagé plus que mal rémunéré.
Ce bref panorama a le mérite de montrer, outre la vie trépidante de Mr Orsenna, les écarts de traitement réservés à cette précieuse fibre dont les propriétés surpassent de bien loin celles de toutes les autres fibres naturelles, synthétiques ou combinées… Sachez-le, le coton est plus rigide, plus résistant, plus doux et retient mille fois mieux les teintures qu’aucun autre tissu fabriqué naturellement ou artificiellement aujourd’hui. Ainsi, on comprend le fort potentiel de croissance des pays dont le climat peut accueillir sa production et il est instructif de voir de quelle manière elle est gérée dans ces différents pays. Chaque fois, l’Etat fourre son nez corruptible dans le système de production plus ou moins directement, à travers de fortes taxes d’exportation, de généreuses aides aux paysans, des quotas de production, des entreprises nationales seules productrices ou autres emprises selon le degré de démocratie du pays.
Ces larges mouvements historiques permettent également de faire ressortir le comportement finalement prévisible de ces Etats qui n’ont pas le degré de maturité nécessaire pour gérer cette manne autrement. C’est surtout ce constat sous-jacent qui est pertinent. Les Etats se tiennent chacun dans un rôle. Ainsi un gouvernement pauvre comme le Mali n’a pas d’autres choix que de tenter de produire un tissu de plus en plus basique de plus en plus bon marché. Pour cela, il a besoin de la participation de l’Etat, d’où l’absolue nécessité de la compagnie nationale qui lutte farouchement contre la Banque Mondiale qui s’insinue dans le pays pour lancer des privatisations. Par symétrie, les Etats-Unis luttent pour conserver leurs droits de distribuer des subventions aux cotonniers pour pouvoir produire un bon coton à bas coûts. Même si 80% de ces aides vont aux dix plus gros producteurs…
Un ouvrage instructif donc, tant sur le coton que sur les mécanismes de l’économie à l’échelle mondiale, et dont le style hâbleur qui vous noie dans les pensées lumineuses de l’auteur est heureusement compensé par quelques électrochocs subtilement distillés dont je vous fais cadeau en conclusion. « Même s’il sait qu’elle repose sur le travail inhumain des esclaves noirs, lequel d’entre nous ne garde pas une honteuse tendresse pour les grandes maisons blanches du Sud Américain ? » Ah, le temps béni des colonies…
D.A. – CC11 – « Les Caprices» - Avril 2008
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire