On est tous dépendant de quelqu’un, de quelque chose. Un homme, des femmes, alcool, cigarettes, nourriture, shopping, sexe, jeux… Mais non, me dites-vous, ce ne sont pas des dépendances, ce sont des préférences, nuance. Vous aimez fumer, vous aimez le chocolat. Eh bien, il existe une façon très simple d’en avoir le cœur net. Si vous arrivez à vous abstenir pendant au moins une semaine de l’objet de votre « préférence » sans vous contrôler ou souffrir de manque, il s’agit effectivement d’une préférence, d’une habitude. Dans le cas contraire, vous êtes bel et bien dépendant. Peut-on se passer de cette dépendance ? Oui, et non. Pour saisir la nature du lien qui unit l’amour et ses dépendances, il est nécessaire de comprendre d’abord quels sont les enjeux de cette relation complexe.
Aimer, qu’on le veuille ou non, c’est dépendre. Dès qu’on s’attache à un homme, à un enfant, à un chien ou un chat, dès qu’on consent à tisser des liens, on a rapidement besoin de, envie de. On est facilement en manque de. Bref, on dépend de. Aimer quelqu’un, c’est inévitablement s’en occuper et s’en préoccuper. C’est être sensible à ce qui le touche. Notre bonheur dépend en partie de leur bien-être. La dépendance à autrui est normale, mais le manque et la souffrance ne doivent pas devenir plus importants que le plaisir.
En effet, la souffrance est le seul élément qui distingue l’amour de la dépendance. Et cette souffrance s’insinue dès que l’on commence à tout accepter et à « s’oublier » dans la relation au profit de l’autre. La dépendance devient malsaine lorsque la relation occupe toute la place et que, malgré la douleur et la souffrance éprouvées, on retourne, après chaque peine, vers la personne qui nous fait souffrir. Cette personne à laquelle on « s’accroche » a le pouvoir de calmer notre angoisse et notre douleur intérieure et nous procure cette illusion de bien-être qui nous manquait. Dès lors, un cercle vicieux se dessine : l’illusion du bien-être nous contraint à retourner sans cesse vers la source de notre souffrance.
Lorsque l'on aime, on est aussi forcément dépendant. Mais cette dépendance ne signifie pas nécessairement qu'on est à la merci de l'autre ou encore qu'il est indispensable à notre satisfaction. La dépendance est liée à notre besoin plus qu'à la personne elle-même. C'est notre besoin qui est incontournable et non la personne aimée qui est indispensable. Il en est de même des besoins affectifs. Ils doivent être suffisamment satisfaits pour assurer notre survie psychique et notre épanouissement. Mais les personnes avec lesquelles nous pouvons combler ces besoins sont nombreuses. Il peut donc y avoir plusieurs sources de satisfaction pour chacun de nos besoins. En fait, bien que cela puisse paraître choquant, aucune personne n'est réellement indispensable à la survie ou même au bonheur d'une autre.
Quand on est dépendant, on en vient à compter excessivement sur une personne déterminée pour assurer notre bonheur. Le bonheur d'être reconnu, apprécié. Si l’on est porté par l'amour qu'une personne a pour soi, on rayonne non pas par soi-même, mais à cause de l'amour de cette personne. On est lumineux, mais c'est l'autre qui a la main sur l'interrupteur... Si on est trop dépendant et si l’être aimé ne nous accorde plus toute la bonne attention dont il nous gratifiait au début de la relation, s'il nous ignore de plus en plus, on est désemparé. Peut être qu’on ne s’est pas rendu compte qu'il s'intéressait moins à nous qu'à l'effet qu’on faisait sur lui. Surpris, on découvre sa relative indifférence à nos besoins. En fait, chaque membre du couple essaye de tirer la couverture à soi. Nous ne sommes plus en amour, nous sommes en lutte pour le pouvoir ! Fuis-moi, je te suis ; suis-moi, je te fuis… Pourquoi vouloir alors rester avec celui ou celle qui ne nous respecte pas et nous fait souffrir ? Pas par amour, mais bien par dépendance. L’amour n’est pas la souffrance.
Le piège, c’est de trop souvent confondre l’amour avec la dépendance, qui est d’avoir trop besoin de l'autre pour se sentir exister. Fatalement, ce sentiment engendre des sentiments pénibles d'inquiétude et de manque, et conduit à la souffrance. L'amour est un état d'être fait de joie... Mais pour aimer il faut avoir reçu suffisamment d'attention et d'encouragement. On en est d'autant moins dépendants que l'on est rassasié ! Aimer, c’est inconditionnel, c’est donner et recevoir. En revanche, la dépendance a ses conditions : c’est donner ou recevoir (et le plus souvent donner sans recevoir).
La plupart des dépendances semblent avoir leur origine dans des événements traumatiques (à divers degrés bien sûr), et qui ont eu un effet sérieux sur le tissu émotionnel de la personne, un domaine où l'estime de soi et la valeur personnelle ont été compromises. Souvent, cela se produit à l'intérieur du milieu familial. Les conséquences du traumatisme ou du manque peuvent être pour un enfant (et a fortiori pour l’adulte qu’il deviendra !) une faible confiance et estime de soi, la peur de l'amour, la peur de l'abandon, les attentes irréalistes ou des colères dissimulées.
La plupart des gens croient que les carences affectives proviennent du manque d’affection, d’amour reçu dans leur enfance. Il n’en est pas forcément ainsi. Nous avons tous ressenti un manque affectif étant jeunes. Ce sentiment de manque est causé par nos blessures et croyances apportées dans notre bagage accumulé depuis le début de notre vie. Combien de parents ont fait tout ce qui leur était possible pour montrer ou prouver leur amour à leurs enfants et ceux-ci ne se sont tout de même pas sentis aimés ? Pourquoi ? Parce que les parents n’ont pas exprimé leur amour de la façon que les enfants l’auraient voulu et ceux-ci ont perçu l’amour reçu par leurs parents à travers leurs blessures, ce qui a faussé la réalité. Ou mille autres explications…
Sur la route de l’autonomie et de l’acceptation de soi, la vie nous propose de nombreuses drogues chimiques ou sociales. La dépendance affective mène aux dépendances physiques, et chaque drogue est un substitut à une dépendance de base non résolue. Il y a les substances (nourriture, alcool, tabac, cannabis, cocaïne) et les activités (achats compulsifs, travail, sport intensif, jeux, sexe, etc.) Généralement, les drogués (à quelque niveau que ce soit) cherchent dans ces produits une compensation qui masque ce qu'ils ne trouvent pas dans la relation avec un autre. Cette dépendance physique permet d’anesthésier la souffrance liée au manque affectif.
Les dépendances sont aussi interchangeables. Par exemple, vous pouvez avec succès surmonter votre comportement dépendant à la nourriture, mais si vous n'avez pas composé avec la cause première de votre désordre comportemental, vous pourriez vous retrouver avec une dépendance croissante, compensatrice dans un autre domaine (comme une obsession à faire de l'exercice, ou à fumer). Certaines personnes qui abandonnent la dépendance aux drogues transfèrent leur besoin compulsif dans l'alcool. Ceux qui cessent de fumer se mettent souvent à trop manger. Certains qui cessent un comportement sexuel compulsif, le remplacent par une dépendance du travail.
On se rend compte consciemment de notre dépendance quand on n’arrive plus à trouver cette compensation satisfaisante ni suffisante à combler ce manque, en fait une carence affective. Quand on comprend que l'objet de notre dépendance ne peut pas réellement combler cette carence, on a envie de s'en détacher, mais on ressent très vite une sensation de manque. C'est même physique, et très vite, on craque. Alors on replonge dans le même scénario ou parfois, on trouve un substitut qui ne règle rien et repousse l'étape du manque à dépasser à un jour prochain. C'est ce besoin de revivre la même expérience jusqu'à en vomir et à en être malade, jusqu'à ne plus pouvoir recommencer physiquement. Le corps s'exprime et refuse.
Nous savons tous que certaines dépendances peuvent être nuisibles à notre santé, mais le fait de se contrôler ne peut que temporairement aider. Lorsqu’on arrive au bout de sa capacité à se contrôler, on perd alors le contrôle et s’accuse davantage. Le contrôle ne fait qu’alimenter le cercle vicieux. Certaines personnes perdent le contrôle dans la même substance et d’autres font du transfert dans autre chose. Par exemple, une personne peut s’abstenir de fumer et perdre le contrôle dans des achats inutiles. Une autre peut s’abstenir d’alcool et perdre le contrôle dans la nourriture. Ce transfert est d’autant plus vicieux qu’il ressemble à une compensation, du type « je n’ai pas fumé tant de jours, je mérite bien une après-midi de shopping ».
Pour se libérer de ses dépendances affectives, il est nécessaire de s'accepter dans ses propres limites, sans jugement. Accepter ses limites et ses dépendances, c’est un défi de taille. Mais avant de pouvoir accepter nos dépendances, il faut en devenir conscient. Les plus faciles à constater sont celles d’ordre physique. Ces dépendances sont des substituts qui reflètent les véritables dépendances qui sont d’ordre affectif. Entre autres, le corps est un moyen pour l’affectif de s’exprimer.
Accepter signifie se donner le droit d’être ce que l’on est, de dire oui à ce qui se passe même si cela ne répond pas à nos attentes, même si l’on n’est pas d’accord. Dire oui en se rappelant qu’un jour on arrivera à être ce que l’on veut être. Les substituts ont une utilité, même illusoire et temporaire. Au lieu de culpabiliser, il vaut mieux accepter la dépendance, et elle partira d’elle-même. Soyons tolérant envers nous-même ! Nous ne sommes que des humains… Et puis, comme le dit le vénéré maître Tao Te King, « qui connaît sa faiblesse est fort ».
A.L. – CC9 « L’Amour» – Février 2008
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