Durant la guerre froide, le « capitalisme » désignait un système où la propriété privée était plus ou moins accessible, et où les prix étaient plus ou moins définis par le marché. Le concept existait surtout par opposition au système communiste et à l’économie planifiée. Depuis l’effondrement du bloc communiste, 2.5 milliards de nouveaux « capitalistes » chinois, indiens, et soviétiques sont entrés sur le marché mondial. Le terme ne veut plus dire grand chose. Il n’y a plus deux blocs, mais un seul système de circulation de biens, de personnes, et d’information, système dont un territoire (quartier, village, ville, région…) est plus ou moins rattaché. Chaque territoire s’y adapte différemment, et développe sa propre version du capitalisme en fonction:
- De ce qu’il hérite de la nature
- Du contexte économique et technologique qui l’entoure
- Des institutions en places (Etat, école, lois, mafias, médias, entreprises, Eglise, ONG, banques etc.)
- Des valeurs et des traditions de ses peuples, ce qui peut parfois morceler un territoire, avec des peuples plus ou moins connectés
La nature agit aveuglément. Le climat conditionne non seulement l’agriculture, mais aussi le comportement. Les ressources naturelles permettent une retraite dorée aux Norvégiens sur des générations à venir, mais ont plongé le Congo et l’Irak dans le chaos. La Chine côtière participe davantage aux échanges internationaux que celle de l’Est, la Côte d’Ivoire davantage que le Burkina Faso. Le Brésil a un espace et une densité qui lui permettent de devenir une superpuissance agricole, statut auquel le Pakistan ne pourra jamais prétendre. Autres axes de réflexion : les catastrophes naturelles et les maladies, même si dans ces cas-là des institutions solides peuvent limiter les dégâts. Heureusement, la géographie n’engendre pas tout. Mais la part du déterminisme géographique dans l’histoire est discutée dans De l’Inégalité parmi les sociétés de Jared Diamond.
Très peu d’économies fonctionnent en isolement. Durant l’âge industriel, les puissances se développaient en relative autarcie, dépendant toutefois de colonies et de protectorats pour s’approvisionner en ressources naturelles. Les nations se tournaient surtout vers leur marché intérieur, protégé par des tarifs élevés à l’importation et stimulé par un Etat dirigiste. Aujourd’hui tout n’a pas changé : l’Etat en Chine, en Corée, et au Japon a nourri ses champions avant de les ouvrir à la compétition internationale. Mais c’est le marché extérieur qui est désormais le tremplin. Depuis plus d’un demi-siècle le marché mondial est tellement immense que dans toutes les success stories (Japon, Corée, Chili, Botswana, Dubaï, Maroc) la croissance a été tirée par les exportations : de tourisme, de ressources naturelles, et/ou de biens manufacturés. Dans ce dernier cas on commence par les industries à faible valeur ajoutée (textile, jouet, assemblage) avant de passer à celles à forte valeur ajoutée (électronique, chimie, armement, transport, finance, assurances…). Un pays s’enrichit lorsqu’il produit quelque chose dont le système a envie. En retour, le système lui permet de faire des bonds technologiques en avant (dans le transport, la communication, la mécanisation). Ainsi l’Afrique a adopté le téléphone portable en masse sans passer par le télégraphe et le téléphone fixe, le scooter sans passer par la cavalerie.
Les migrations sont un autre élément du contexte international, et se sont intensifiées au point de bouleverser les pays d’accueil, mais aussi les pays d’origine. Ainsi la diaspora chinoise, estimée à près de 50 millions d’individus, recompose l’économie là où elle s’implante et garde des liens très proches avec les proches restés au pays, ce qui explique pour beaucoup la croissance des échanges internationaux avec la Chine. Les Etats-Unis peuvent compter sur des Indiens et des Chinois bien formés dans leur pays d’origine pour combler leur manque de travailleurs qualifiés. L’immigration non-qualifiée est plus controversée : bouffée d’air frais lorsqu’elle remplit des trous, baisse de salaires ou chômage lorsqu’elle entre en compétition avec les autochtones. Autres axes de réflexion sur les migrations : l’impact des rémittences (e.g. la diaspora philippine) sur l’économie des pays d’origines, les flux de réfugiés, l’exode rural.
Depuis les années 90 on ne confronte plus des idéologies, mais des institutions. On ne cherche pas à savoir quel est le meilleur système, mais quelles institutions permettent d’intégrer au mieux LE système. Des institutions pour faire respecter les contrats et le droit de propriété, pour protéger les consommateurs, pour informer tout le monde, pour inspecter les comptes etc. En fait, plus le marché se développe, plus ces institutions sont complexes, et vice versa. L’ex-bloc soviétique mena une politique de « thérapie de choc », où toutes les institutions qui régissaient la vie économique furent éliminées pour passer à l’économie de marché du jour au lendemain. Certains, comme la Pologne, moins « communistes », ont vécu une transition relativement tranquille. D’autres comme l’Ukraine, dont les institutions étaient peu adaptées au marché, ont subi un séisme économique et souffrent toujours de troubles politiques. La Russie, elle, a d’abord plongé dans un anarcho-capitalisme où mafias, oligarques, et ex-apparatchiks se disputaient les ressources naturelles, avant que sous Poutine l’Etat, bien que restant profondément corrompu, ne reprenne peu à peu le contrôle. Dans l’ex-sphère communiste mais pas dans l’ex-bloc soviétique, la Chine a adopté une approche complètement différente car beaucoup plus graduelle. Avant la prise de pouvoir en 1978 par Deng Xiaoping, toute l’économie était orchestrée par un Plan : on produit tant, on gagne tant, et on le distribue à telle personne, surtout pas de déviations. Au lieu de tout balayer, Deng gela le Plan : on continue à produire au minimum ce qu’on produisait avant, les entreprises publiques restent en place, mais elles pourront produire davantage si elles le veulent et faire ce que bon leur semble du surplus. Ainsi la Chine développe un capitalisme superposé à son système communiste. Elle s’est appuyée sur les institutions et les relations commerciales existantes (e.g. l’appareil d’Etat, le Parti Communiste, les PME rurales, les collectivités locales, la diaspora), mais en changeant les règles du jeu pour stimuler la croissance. Aujourd’hui le Plan ne représente plus qu’une partie infime de l’économie. Mais la transition institutionnelle reste inachevée, faute de transparence et de liberté d’information.
La culture dominant un territoire est un facteur essentiel du développement du marché. Max Weber l’avait remarqué il y a plus de cent ans lorsque la sociologie faisait ses premiers pas : en Europe à l’époque le pourcentage de Protestants sur un territoire était fortement lié au niveau des revenus. Plus récemment, David Landes dans The Wealth and Poverty of Nations plaçait carrément la culture (la valeur travail, le sens de l’organisation et des affaires, l’individualisme, la laïcité etc) au centre de tout. Comme on l’a vu, rien ne fait tout. Mais on ne peut en effet négliger le rôle des mœurs. Le Japon et la Corée se sont développés en grande partie grâce à une très forte tendance à l’épargne, d’où l’accumulation de capitaux ayant servi de tremplin vers l’industrialisation. L’Afrique sub-saharienne, bien qu’ayant bâti des Etats stables presque partout, voire même légitimes depuis la vague de démocratisation des années 90, garde des institutions trop limitées, et repose davantage sur une culture de confiance et de réputation pour organiser et réguler des échanges où personne n’est lésé. Autres axes de réflexion : les rapports entre générations, les rapports entre sexes, la culture de la famille, l’esprit de charité, l’esprit de compétition, le multiculturalisme etc.
Le capitalisme, d'une certaine manière, tend à uniformiser les modes de vie. Cependant il n’y a pas pour ainsi dire deux formes de capitalismes semblables tant les facteurs qui les définissent sont nombreux et dépendants de facteurs constants tel que la position géographique ou les ressources naturelles bien que celles-ci soient plus ou moins appréciées en fonction des avancées technologiques (le pétrole ne valait rien il y a deux siècles) et de facteurs sociétales qui peuvent varier très rapidement. Le tout forme un équilibre plus ou moins stable qui définit un capitalisme qui n’en a plus que le nom.
C.F. – CC7 « Le Capitalisme» – Décembre 2007
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