mercredi 19 janvier 2011

Trotsky Dans Tous Ses Etats

La France et les trotskistes de la CIA
1940. Après la mort de l’exilé Lev Davidovitch Bronstein, que va devenir la Quatrième Internationale ? Cette question, bien peu de gens se la posent (à tort ou à raison). Les organisations groupusculaires affiliées à ladite internationale, évidemment. Staline également, car le tyran paranoïaque redoute bel et bien un complot à son encontre – l’accusation de trotskisme a été présentée lors des procès de Moscou pour éliminer les opposants réels ou supposés du « petit père des Peuples ».
Mais  finalement, le destin de ces quelques milliers de militants mal structurés, mal implantés, mal financés, et disséminés de part le monde, rejetés par leurs propres frères de combat, importe bien moins que le bruit des canons en provenance du cœur de l’Europe, où les grandes manœuvres militaires n’ont toujours pas commencé.

Pourtant, quelques années plus tard, le trotskisme institutionnalisé se sera considérablement développé, parfois nourri des déceptions et des désillusions envers le communisme orthodoxe. Phénomène aujourd’hui oublié, le trotskisme pèsera pendant quelques décennies sur le destin de plusieurs pays, certains exotiques (Sri Lanka), d’autres moins (France). Et le rôle massif et permanent joué par les services secrets américains dans la promotion de certains courants trotskistes, afin de contrer l’Union Soviétique, constitue une page des plus pittoresques – et méconnues – de la Guerre Froide.

La douloureuse naissance de la Quatrième Internationale.

"Hitléro-trotskystes au service de l'étranger". Ainsi L’Humanité désignait elle les adeptes français de l’ancien chef de l’Armée Rouge. Rappelons qu’entre 1933 et 1935, ce dernier avait réussi à regrouper quelques centaines de partisans lors de son séjour de deux ans en France (dont il avait été finalement expulsé vers la Norvège, puis vers le Mexique du général Lazaro Cardenas).
Au Mexique, Trotski laisse également une poignée de fidèles après son élimination par les agents du NKVD. Ses activités militantes fébriles – Trotski se savait menacé, et avait déjà échappé à une tentative d’assassinat au début de l’année 1940 – avait permis de constituer une « IVe Internationale » avec des représentants d’une dizaine de pays. Mais ce regroupement, paraît quelque peu anecdotique, et surtout ne semble pas devoir résister à la mort de son fondateur Trotski, ni à celle de son principal organisateur Lev Sedov – ce dernier étant le fils du précédent. Sedov a vraisemblablement été éliminé sur son lit d’hôpital parisien par les agents soviétiques…

Les débuts des mouvements trotskistes se feront dans la douleur. En Espagne, pendant la guerre civile, les trotskistes initialement fort nombreux se détachent de la IVe Internationale. Ainsi des « Poumistes » d’Andrès Nin - éliminés de toute façon par des agents de Staline (et particulièrement par l’étonnant Joseph Grigoulevitch, qu’on retrouvera à la tête d’un commando chargé d’éliminer Trotski au Mexique). Dès la fin de l’année 1939, une scission importante menace la fragile coalition viscéralement antistalinienne voulue par Trotski, elle-même largement noyautée par des espions russes : en France, l’une des hautes terres du mouvement, les trotskistes peinent à conserver leur unité, et des groupuscules divers se réclamant de la IVe Internationale essaiment.

Aux Etats-Unis, où les trotskistes ont installé leur siège lors du déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, le Socialist Worker Party se disjoignent à leur tour de la IVe Internationale. Finalement, les seules contrées où le trotskisme représente un courant populaire semblent dérisoires : Sri Lanka, Bolivie, Indochine française. Enfin, la prégnance remarquable d’intellectuels bourgeois, très souvent juifs, parmi les fidèles de Trotski n’est pas sans attirer les railleries des soviétiques et de leurs affidés, tout en hypothéquant sérieusement les chances d’élargissement à la base.

Revenons un instant sur le cas français. Les disciples de Trotski ne parviennent pas à adopter d’une attitude commune sur la question de la guerre, alors bien engagée. Beaucoup d’entre eux, en dépit du pacte germano-soviétique, pousseront leur pacifisme jusqu’au « défaitisme révolutionnaire » - c’est- à-dire encourager la propagande nazie, au grand bonheur des futurs collaborationnistes tels Marcel Déat. Ainsi, au sortir de la guerre de nombreux militants trotskistes se feront bien discrets…Mais c’est pourtant dans cette dure épreuve que la technique de l’entrisme, promise à un bel avenir, s’est développée. Il est à noter que cette attitude était évidemment contraire au trotskisme « orthodoxe ». Trotski n’avait-il pas appelé constamment à la lutte anti-nazie, tout en accordant à la fin de sa vie son aval à l’établissement d’un foyer juif en Palestine ? Ultimes réminiscences de son passé familial, ou tentative de se réconcilier avec le Seigneur, en vieil homme conscient d’être condamné ?

Après la guerre, le temps des désaccords
Bien qu’une nouvelle scission plus sérieuse affecte la IVe Internationale, la conjoncture va se révéler initialement meilleure que prévue pour ses organisations membres. Emmené par le grec Michel Raptis (alias Pablo), un grec d’origine égyptienne issu d’une famille richissime, une frange importante des mouvements trotskistes adopte le tiers-mondisme intégral comme idéologie, et l’entrisme comme pratique politique. Résolument conquérante, cette nouvelle orientation va permettre un large succès dans le développement des idées trotskistes, même si le succès politique n’est toujours pas au rendez-vous. Ainsi verra t-on les pablistes en fer de lance du panarabisme nassérien en Occident, ce qui représentait un changement majeur après le soutien initial des trotskistes à l’Etat hébreu lors de la guerre de 1948. Le thème de « l’autogestion », que l’on verra repris par l’ensemble des mouvements de gauche, trouve ainsi son origine dans les écrits de Pablo. De même, ce dernier anticipe l’essor à venir des mouvements féministes. Enfin, des contacts sont noués avec des groupes militants en Grèce, au Chili, à Cuba.
Cependant, malgré ces demi-succès, plusieurs groupes membres de la IVe Internationale, en France et en Grande Bretagne, vont rompre avec Pablo. Un nouveau leader émerge en France en 1953 : Pierre Boussel, dit Lambert, à la tête de la section française de l’Organisation Communiste internationale.

C’est ici que l’Histoire nous réserve une série de ces surprises qui ne manquent pas de faire sourire, des décennies après les faits, quand ces derniers viennent à la lumière.

L’infiltration par la CIA.

Si le Parti des Travailleurs, l’héritier du lambertisme, est aujourd’hui parfaitement groupusculaire, l’influence de celui qui fut candidat à l’élection présidentielle de 1988 n’a pas toujours été aussi faible.
Qu’il nous suffise de rappeler que Pierre Boussel a bel et bien été le mentor d’un certain Lionel Jospin…

Revenons aux fondamentaux. La section pabliste (la plus « légitime » semble t-il), qui va donner naissance à la LCR, s’appelle alors Parti communiste internationaliste. Hostile à la « bureaucratie » des Pays de l’Est, ce parti n’intéresse pas grand monde, jusqu’à sa fusion avec les très actives Jeunesses Communistes Révolutionnaires, bien plus tard (1969). Pierre Boussel lui, présente un profil plus original, qui va vite attirer l’attention de la CIA. Boussel est un proche du Socialist Worker Party, mouvement dissident, nous l’avons dit, de la IVe Internationale. Or ce parti est lui-même largement soutenu et financé par les services de renseignement américains.

En vérité, depuis que les Etats-Unis ont réussi à faire échouer une « conférence internationale pour la paix » secrètement organisée par le Kominform à l’hôtel Waldorf Astoria de New York, grâce au philosophe Sidney Hook, l’une de leurs taupes, plus personne ne doute à Langley de l’intérêt d’enrôler des intellectuels marxistes américains dans la Guerre Froide. Or ces intellectuels constituent l’armature du SWP, dans un pays où le syndicalisme ouvrier n’a jamais vraiment porté de revendications politiques. A coups de donations fort utiles à des organes de presse trotskiste quasi inconnus, la CIA s’assure la fidélité d’un bon nombre de ces écrivains, journalistes, universitaires. Parallèlement, l’AFL, l’uns des deux grands syndicats américains, est tout de même lui aussi infiltré.

Mais en France, si les intellectuels sont tout aussi nombreux au sein du mouvement trotskiste, le succès passe par l’adhésion des masses ouvrières. Et c’est à cette tâche que va s’atteler le syndicaliste de la CIA Irving Brown, l’un des chefs de file des réseaux stay-behind de l’OTAN en Europe Occidentale…. Tout commence en 1947. Les grèves violentes à la Régie Renault aboutissent à l’expulsion des communistes du gouvernement Ramadier. On se souvient comment l’URSS avait établi sa mainmise sur les Pays de l’Est : crise politique, révolte ouvrière, prise de pouvoir du parti communiste local, aide efficace des services de renseignements soviétiques. La France, où le PCF est le premier parti, suivrait-elle la même voie ?

Cela, Léon Jouhaux, l’un des chefs de la CGT, ne le souhaite pas. Approché par la CIA, il décide de provoquer l’éclatement de la confédération syndicale. C’est ainsi que naît la CGT- Force Ouvrière, largement constituée d’anciens trotskistes….et notamment de proches de « Lambert », beaucoup d’entre eux étant, nous l’avons dit, relativement effacés de la scène politique à la Libération en raison de leur attitude pendant la guerre.
Ainsi parlait George Meany, le leader de l’AFL : « je suis fier de vous dire, parce que nous pouvons nous permettre de le révéler maintenant, que c’est avec l’argent des ouvriers de Detroit et d’ailleurs qu’il nous a été possible d’opérer la scission très importante pour nous dans la CGT, en créant le syndicat ami Force Ouvriere ».

Irving Brown, représentant de l’AFL en Europe, mais également l’un des organisateurs du stay-behind, ira plus loin en aidant « Lambert » à créer un parti politique, et à attirer des déçus du stalinisme. Ce sera le futur Parti des Travailleurs. Bien que toute la CIA ne finance directement que quelques milliers d’hommes, le pouvoir de nuisance de Force Ouvrière et du PT dans l’extrême gauche française sera conséquent : insérée dans la franc maçonnerie la plus laïque, farouchement anti-soviétique, cette mouvance formera par l’entrisme de nombreux cadres politiques du Parti Socialiste, (dont Lionel Jospin mais aussi une partie de l’équipe de campagne de Ségolène Royal !) et même certains chefs d’entreprises. Elle infiltrera aussi le PCF …

S.D. – CC 1 « Le Renouveau de la France » – Juin 2007

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