Il était une fois, il y a fort longtemps, une famille bourgeoise. Un jour, la cadette de cette famille se trouva enceinte sans être mariée. Par peur du scandale, ses parents la cachèrent le temps de sa grossesse, et étouffèrent le nourrisson, un jeune garçon, lorsqu’il vint au monde. Personne n’en dit jamais rien, la jeune fille se maria avec un jeune homme de bonne famille et l’affaire ne fut pas révélée.
Or, depuis ce sombre événement, tous les fils aînés des filles cadettes issues des générations suivantes mouraient. Ou alors les cadettes restaient célibataires ou sans enfants. En outre, les fils survivants se révèlent sujets à des problèmes de respiration.
Ce cas (véridique !) illustre bien toute l’importance et les dommages que les secrets de famille peuvent causer. Plus on tait un secret, plus celui-ci « suinte ». Nous sommes dans le domaine du non-dit, c’est-à-dire que lorsqu’il se produit de quelque chose de soi-disant honteux (un internement, un suicide, un enfant adultérin, un homicide, un abandon, un inceste, etc.) il faut à tout prix cacher cette disgrâce et l’enterrer. Le secret est né.
Cependant, comme le montre Anne Ancelin Schützenberger dans ses recherches (et notamment dans son édifiant ouvrage Aïe, mes aïeux), nous portons tous les stigmates du passé de nos ancêtres, et particulièrement de leurs erreurs et secrets. Comme si certains morts mal enterrés ne pouvaient rester dans leur tombeau, se manifestaient par ses descendants pour se faire reconnaître, pour qu’on n’oublie pas un certain événement…
Ainsi, un jeune garçon âgé de quatre ans a un accident de voiture avec son père avoir sur le chemin de l’école un 23 septembre ; le garçon devenu père à son tour a le même accident un 23 septembre en emmenant son fils de quatre ans à l’école, et ainsi de suite sur plusieurs générations… C’est le syndrome de l’anniversaire.
Ce sont ces faits apparemment inexplicables que la psycho-généalogie cherche à décoder. En effet, il semblerait qu’il existe une mémoire transgénérationnelle, un rappel de l’inconscient familial, et que chaque individu porte sur ses épaules une culpabilité qui n’est pas la sienne, mais qui relève des erreurs du passé. Les exemples abondent de personnes se comportant de manière irrationnelle et pourtant très précise. Accidents, schémas de fonctionnement et rencontres décisives sont parfois autant de rappels d’événements passés et tus.
Seulement voilà, on ne sait comment, les choses que l’on cache sont ressenties et se manifestent par de vagues impressions de mal-être et des certitudes inconnues. En conséquence, les choses qui auraient pu être dites se transforment en comportements inexplicables chez ceux qui ignorent le non-dit et qui pourtant sont concernés ; en bref, ceux que paradoxalement bien souvent les détenteurs du secret ont voulu protéger.
Les enfants sont particulièrement sensibles au non-dit, comme s’ils avaient des antennes destinées à déceler précisément ce qu’on veut leur cacher. A croire que nous avons tous une sensibilité innée que nous ne savons pas conserver… Ainsi un petit garçon va-t-il s’imaginer un grand frère imaginaire sans savoir qu’il a effectivement eu un frère aîné, décédé avant sa naissance, comme dans le poignant récit autobiographique de Philippe Grimbert, Un secret.
Ou encore des femmes d’une même famille qui sur cinq générations qui s’occupent de la tête (elles sont coiffeuses, kinésithérapeutes, ou elles-mêmes portent des minerves) quand leurs aïeules se sont fait décapiter et porter la tête au bout d’une pique lors du génocide en Turquie.
La mémoire transgénérationnelle ouvre également la voie à la psychosomatique, c'est-à-dire les répercussions sur le corps des maux de l’esprit. Pour illustrer ce propos, voici l’exemple d’une amie de mes parents, que nous appellerons Catherine. Catherine est une femme d’environ 35 ans, mariée à un homme qui la trompe. Catherine n’en sait rien, mais il se trouve qu’elle développe un cancer de l’utérus. Cela dure quelques années, le mari de Catherine la trompe toujours et son cancer se développe tellement rapidement que les médecins la déclarent condamnée. Et puis un jour, le mari se tue dans un accident de moto. Et presque miraculeusement, Catherine guérit, plus de tumeur, comme si son corps avait manifesté pendant des années ce qu’elle refusait de voir ou savait inconsciemment : c’est l’utérus qui était atteint, symbole par excellence de la féminité.
Si cette histoire vous semble étrange, regardez un instant autour de vous : vous connaissez certainement des familles à cancer du sein, à morts violentes… Ce n’est pas génétique, c’est le poids des secrets de nos ancêtres. Nous sommes un maillon dans la chaîne des générations et nous avons parfois, curieusement, à « payer les dettes » du passé de nos aïeux, une sorte de loyauté invisible qui nous pousse à répéter, que nous le sachions ou non, des situations agréables ou des événements douloureux.
Nous sommes moins libres que nous le croyons, mais il est possible de reconquérir notre liberté et de sortir du destin répétitif de notre histoire, en comprenant les liens complexes qui se sont tissés dans notre famille.
A.L. – CC16 « Le Secret » - Novembre & Décembre 2008
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