Outre la France, dont le monde s’accorde à dire qu’elle est le point de convergence historique du monde occidental et la civilisation la plus proche de la perfection au monde, la Turquie, située au S. E. de l’Europe est depuis l’Antiquité un lieu d’intenses échanges. Reposant la quasi-totalité de ses flancs hâlés en Asie, la Turquie immisce pudiquement trois petits pourcents de son territoire sur ce que nous appelons conventionnellement l’Europe. Véritable espace de transition entre deux mondes, la Turquie a, de fait, été maintes fois bousculée et objectifiée par la politique européenne. Elle a enfin accédé au XXème siècle à une reconnaissance politique et économique logique qui la place au cœur des enjeux de construction européenne et du rapprochement avec le monde arabe. Comment la Turquie a-t-elle vécu cette double influence, arabe d’un côté et occidentale de l’dans son héritage gréco-latin fécondé par le catholicisme de l’autre ?
Après différentes occupations très pré-premier-millénairesque (hittites, phrygiens, séleucides, Rome…), ce sont finalement les Seldjoukides, à partir de 1071, qui fédérèrent, ou plutôt nadalèrent, les premiers peuples et chassèrent les Byzantins des rives Anatoles. Ces premiers Ottomans appartenaient à la secte des Ghazi, combattants de la foi, qui persécutaient les infidèles et avaient à cette occasion fait leur conquête. Durant les siècles suivants, ils s’établirent plus avant et fondèrent même Gallipoli, première ville ottomane en Europe en 1353 après de nombreux affrontements avec les Byzantins et les croisés. C’est à cette époque que fut créé le corps des janissaires, unité d’élite de l’armée ottomane pendant presque six siècles.
Mourad Ier, dans la deuxième partie du XIVème siècle, commença la conquête des Balkans. Ils prirent plusieurs villes, mirent en déroute la croisade de Louis Ier de Hongrie, et s’emparèrent de la Serbie après avoir livré bataille au Kossovo en juin 1389 ! Déjà maître de l’Albanie, le successeur de Mourad Ier, Bayézid Ier (1389/1402), voulut étendre encore l’influence ottomane. Il y réussit en prenant la totalité de l’Anatolie, mais fut repoussé à Constantinople.
Après avoir consolidé ses positions en Serbie, Albanie et Anatolie, Mourad II (1421/1451) reprit la marche en avant. Encore une fois battu aux pieds de Constantinople, il parvint tout de même à leur imposer un tribut en 1424. Il soumit ensuite Thessalonique et c’est alors que l’Europe chercha à s’allier pour contrer la menace ottomane. Une grande croisade fut organisée à cet effet mais l’issue fut favorable aux ottomans à Varna en 1444 et ceci consacra toutes les possessions balkaniques du sultanat. Le fils de Mourad II, Mohamet II, dit Mehmet II, en bon fils, s’en alla achever les moribonds byzantins. Il pénétra enfin dans Constantinople le 29 mai 1453 et le 1er juin, l’église de Sainte-Sophie était une mosquée.
A partir de là, l’avancée ottomane a été monumentale. En cent ans, Mehmet II et ses successeurs avançaient inexorablement dans toutes les directions : prenant la Crimée aux génois, la Bosnie, l’Arménie, les places génoises et vénitiennes de la mer Egée et même en s’établissant à O-O-O-Otranto, dans le S. de l’Italie. Sélim Ier (1512/1520) se tourna plus vers l’Orient pour rassembler tous les peuples musulmans. Il annexa la Syrie, l’Egypte et à l’E. lutta contre les chiites Perses qui durent abandonner l’Irak et Bagdad en 1534. L’apogée ottomane est atteinte sous Soliman le Magnifique (1520/1566) qui prend Belgrade (1521) et assiège Vienne huit ans plus tard !!! Sans succès comme vous vous en doutez. Il s’est surtout rendu maître des mers en ayant recours aux services de fameux corsaires comme Barberousse. A cette époque, les Turcs sont les plus puissants d’Europe.
Cependant, ce vaste empire n’avait pas de structure pérenne. Le gouvernement, complètement séparé des très nombreux et différents peuples qui constituaient l’empire, n’était composé que de guerriers, mercenaires, esclaves affranchis, en un mot, de sabreurs sauvages et incultes. Les peuples préféraient souvent le joug des ottomans plutôt que de leurs prédécesseurs, plus exigeants, comme les Habsbourg en Hongrie. Ils exigeaient simplement un tribut, notamment pour les non-musulmans. Le corps des janissaires au cours de cette époque prit une importance capitale, passant de 12 000 sous Mehmet II à 200 000 sur une armée de 300 000 sous Soliman.
Le déclin s’amorça doucement pendant une période de successions calmes de vizirs entre 1656 et 1710. Puis les armées du Croissant vinrent une dernière fois mettre le siège à Vienne en 1683 mais furent repoussées.
L’affrontement austro-ottoman prenait ainsi fin. Le nouvel ennemi des Turcs émergeait des steppes du N. : Pierre le Grand, tsar de la Russie éternelle. Bousculés en Crimée et dans les Balkans, les Ottomans ont livré de nombreuses batailles aux troupes de Pierre puis de Catherine II à partir de 1762. Avec le soutien de la Pologne, les Russes, protecteurs attitrés des Chrétiens orthodoxes turcs, furent victorieux quasiment partout et reprirent la Crimée et surtout le droit de navigation en Mers Noire et Méditerranée. La France soutint plutôt les Ottomans durant toute cette période car ils avaient des facilités de commerces avec eux.
Catherine II et son homologue autrichien Joseph II, l’époux de Sissi, signèrent un pacte pour démembrer la Turquie, chose peu aisée au vu de sa taille. Mais les sultans d’alors vivaient dans des harems et confiaient la gestion de l’Empire à des généraux, le désordre régnait dans toutes les provinces. Catherine put alors annexer la Crimée et faire de Sevastopol une base fortifiée importante. Le sultan d’alors, Sélim III se fit beaucoup influencer par les français présents dans son gouvernement. Ayant montré quelques envies de réformes, notamment du corps des janissaires, ceux-ci le déposèrent en 1807, le sultanat s’effritant de part et d’autres, en Crimée face à la Russie ou en Egypte avec la campagne napoléonienne de 1797.
L’énergique Moustafa Bairakdar devint vizir l’année suivante et mis sur le trône Mahmoud II. Ils exécutèrent l’ensemble des janissaires en 1826 et mirent en place des institutions ! Enfin dirai-je. Il dut faire face en même temps aux soulèvements des Serbes derrière leur Prince, des Albanais sous l’impulsion d’Ali Pacha et enfin des Grecs qui auto-proclamèrent leur indépendance en 1822. Ce fut ensuite Abdul-Medjid Ier qui tenta de réanimer l’Empire en proclamant, en 1839, l’égalité de tous les sujets de l’empire, quelle que soit leur religion. En 1860, la pilule n’était toujours pas passée, et les Druzes massacrèrent les Chrétiens du Liban, à la suite de quoi, le Liban obtint un statut d’autonomie en 1864. Le Tsar Nicolas Ier qualifia même la Turquie « d’homme malade de l’Europe ». Les finances n’étaient pas resplendissantes et la Turquie fit banqueroute en 1875 ! À la suite de quoi, les provinces balkaniques prirent leur indépendance malgré l’envoi des fameux bachi-bouzouks venus pour les réprimer. En 1876, à la suite des mouvements de soutiens militaires russes des peuples balkaniques encore dominés, la Serbie, la Roumanie et le Monténégro prirent à leur tour leur indépendance. La fin du siècle fut désastreuse et le ministère de la dette publique turque était géré par des Français et des Anglais !!
Le dernier soubresaut vint de Salonique et du mouvement contestataire des Jeunes Turcs qui levèrent une armée et vinrent prendre le pouvoir en 1909 et le gardèrent jusqu’à la fin, en 1918.
Durant la Grande guerre, les Turques s’allièrent à l’Allemagne pour des batailles navales dans les Dardanelles en 1914. L’année suivante, accusés d’avoir pactisé avec l’ennemi, les Arméniens furent massacrés, dans ce que l’on appelle aujourd’hui un génocide et que la Turquie peine encore à reconnaître. Les Anglais exploitèrent habilement la « guerre sainte » proclamée par les Jeunes Turcs et prirent Bagdad et occupèrent la Syrie.
En 1919, Mustafa Kemal, inspecteur militaire, convoqua des instances nationales et consacra les aspirations populaires et se fit désigner chef du gouvernement en avril 1920, de manière un peu inattendue. Il mit enfin un terme à plusieurs siècles de califat, bannissant les derniers membres de la famille des Ottomans, et redressa les finances publiques en stoppant la tutelle étrangère. Une vraie création politique a alors lieu. Une réconciliation du gouvernement avec son peuple donnant naissance à une grande cohésion. Tout de suite, Kemal laïcise l’état, abolit le califat, adoption des codes civils, suppression des codes religieux, séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1928, adoption du calendrier et de l’alphabet occidental, développement de l’économie, abolition de la polygamie. Kemal a permis le développement de la Turquie actuelle, mélangeant un nationalisme à une occidentalisation de l’Etat tel qu’il était à la sortie de la guerre. Kemal a gardé de ses campagnes le surnom de Ghazi, le victorieux, comme ces sectes qui ont fondé l’empire ottoman mille ans plus tôt en étant intégristes…
La Turquie actuelle a mis du temps à changer ses mentalités, mais cela ne fait même pas cent ans… Ce peuple, adversaire de l’Europe pendant les croisades, vainqueur de Byzance, conquérant des Balkans, de la Crimée, de l’Afrique du N., et de l’Irak a vu ses frontières réduites. Son gouvernement, de calife gras et libidineux et de généraux sans mercis doit maintenant vivre dans un pays amputé de tous côtés, oublié ses liens intenses avec l’Islam, les manipulations franco-anglaises dont il fut l’objet et choisir la réconciliation totale dans un futur commun avec ceux qui étaient jadis ses ennemis. La Turquie est une opportunité également pour une Europe vieillissante. Le rejet de la Turquie renforcerait la constitution de deux blocs basés sur la religion, et aurait des conséquences préjudiciables.
D.A. - CC17 "La Rencontre " - Janvier & Février 2009
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