lundi 24 janvier 2011

La Rencontre - Rencontre avec un chauffeur de Taxi

Je sors de l'Eurostar. Trop de queue pour le Taxi. Impossible de prendre le métro (la chaîne HiFi de Cyrus est trop lourde). Je tente une marche effrénée sur le boulevard Magenta en traînant derrière moi mon mètre cube de technologie. Je retourne ma tête toute les dix secondes en espérant apercevoir un Taxi libre.
10 minutes après, j’aperçois mon sauveur. Je lui fais de grands signes. Le chauffeur s’arrête et sort du véhicule. Il est habillé en veste et pantalons jean style année 70. Ses cheveux sont longs et attachés en queue de cheval, ébouriffés et grisonnants. En venant vers moi, il se plaint des quelques motards qui klaxonnaient: « pas possible à quel point ils sont stressés les gens rrhaa ». Il attrape la valise et la catapulte quasiment dans le coffre avec une expression de grande satisfaction « et hop! et voilà! » Puis il ajoute en fermant le coffre : « Vous ne trouvez pas qu’ils sont trop stressés les gens vous? »
J’ai trouvé que c’était vrai et je lui ai dit, et que c’est d’ailleurs interdit en théorie de klaxonner mais que ça n’empêche pas les gens de se lâcher une fois de temps en temps au grand malheur de nos petites oreilles. J’étais impressionné par l’énergie et la joie de vivre apparente dans ses yeux pétillants de santé et j’étais resté planté là devant la voiture. Il m’invite alors à entrer dans le taxi : « Ba allez, c’est parti ! ». J’avais déjà le sourire au visage et une fois de la voiture, il me sort un « Faites comme chez vous hein… ». J’ai alors pensé à la blague dans la parodie de top gun où le héro est invité chez une nana. Quand elle lui propose de faire comme chez lui il se fout à poil et s’assoit sur son canapé. Je lui dit : 
«- D’habitude chez moi je suis à poil 
– Alors là ça me dérange pas du tout, vous pouvez vous mettre à poil si vous voulez…» 
– Où est-ce que je vous emmène ?
J’étais toujours un peu dans mon délire top gun et j’avais oublié de me concentrer sur mon but initial : rentrer chez moi :
– Ah oui ! 16ème Sud, rue Michel-Ange. »
Je ne sais pas ce qui m’a pris de dire 16ème sud. Je ne dis jamais ça d’habitude. Il faut dire que l’ambiance n’avait rien d’habituel. On discute quelques minutes de plus du manque de sérénité de la population parisienne jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il avait oublié de lancer le compteur, et je lui fis remarquer. Le personnage commençait déjà à m’amuser.
« - Ah oui le compteur ! Tchoc, c’est parti !
– Heureusement que je suis là
– Oh ba ma vous savez là je m’en fiche complètement… Je suis un vrai hippie !  Smokin’ in the water ! Vous alliez où déjà ?
– Rue Michel-Ange
– Ah oui c’est ça. Vous savez moi faut me répéter les choses plusieurs fois. J’ai des trous de mémoires. Vous croyez que c’est Alzeimer ? Je pense plutôt que j’ai abusé de la Marie-Jeanne. Je fumais des joints tous les jours, j’étais tout le temps défoncé. Tiens on va mettre du Clapton ça va être sympa.
Il insert le CD et commence à lever le volume en disant : « tiens regardez on va bien se marrer là ». Il ouvre la fenêtre et commence à faire « peace and love » à une fille sur son Vélib’. « alala ta vu la tronche qu’elle a tiré dis-donc » Il met alors le volume niveau max en gueulant « là ça me donne envie de danser ». Au feu rouge d’après il s’arrête, sors du taxi avec la musique toujours à fond et commence à danser en plein milieu de la chaussée en faisant semblant de jouer le solo de Clapton. Je vois la tête des cyclistes, certains amusés, d’autres perturbés. Certains me regardaient d’un air « ça le fait rigoler lui ? Moi à sa place je m’inquièterais sérieusement ! ». Cette scène surréaliste me faisait à peu près le même effet que le film « Le Chien Andalou » de Buñuel et Dali. Le feu passe au vert. Il se remet en place en riant fort.
« – Vous avez vu la tête des gens ? Le jeune avec sa barbe sur son vélo ça le faisait marrer. Ca se voit déjà qu’il était un peu plus dans le trip. La fille par contre elle m’a tiré une de ces tronches. Le problème avec les filles c’est qu’elles croient toujours qu’on veut les draguer.
– J’imagine que ça devait être différent en 68… (ça y est, la perche est tendue, je sens qu’on va bien se marrer maintenant)
– C’est clair mon vieux attend, on était tous défoncés tout le temps! Les filles, les mecs. On s’en foutait. On était tous de vrais hippies. On croisait des inconnus dans la rue. On se faisait des peace and love et on s’embrassait. Ah ! Eric Clapton c’est vraiment génial. »
En arrivant rue de Rivoli on voit un scooter à deux doigts de se faire éclater par une voiture qui tourne le volant au dernière moment. « Putain, la vache ! Il est pas passé loin celui-là ». Ce n’était décidément pas une course comme les autres… On naviguait entre la vie et la mort, entre 68 et 2008… Enfin… Surtout entre Gare du Nord et rue Michel-Ange.
« Vous connaissez 10 years After ? Alvin Lee ? Attendez, on va mettre ça vous allez voir. C’est excellent. »
Il change de CD, trifouille quelques boutons, remet le volume à fond, et c’était reparti pour du rock n’ roll style Woodstock. Ca me cassait un peu les oreilles vu le volume mais je me suis laissé embarquer dans son univers. Lui était complètement déchainé et ressortait sa guitare imaginaire sur le solo. Il me regardait parfois longuement dans le rétro en faisant vibrer ses yeux au rythme de la musique. Il était à fond. Il a enchaîné avec un certain Steeve Ray qui jouait le même style de rock mais avec une voix similaire à celle de Ray Charles. Je n’avais jamais entendu un truc pareil et c’était très bon. J’étais ravi de découvrir.
Je lui dis que c’était vraiment marrant qu’il se mette à danser comme ça au milieu de la rue.
« - Moi vous savez, même si c’étaient les flics, je danse pareil. Qu’est-ce qu’ils peuvent me dire ? C’est pas écrit que c’est interdit de danser au feu rouge ! Vous savez y a des clients parfois ils me prennent pour un fou. Ils sortent au bout de 200 mètres en m’engueulant et en me demandant d’aller décuver. Alors que je vous assure : je marche toute la journée à l’eau, et je ne fume rien.
 – Y en a qui sont pas dans le trip. Faut se lâcher une fois de temps en temps. »
Il enchaine avec du Johnny Winter. En trifouillant les boutons de son lecteur audio il pousse sans faire exprès le bouton de son compteur et l’arrête alors qu’on était sur rue Mirabeau. « - Bon j’ai arrêté mon compteur sans faire exprès… J’imagine que vous connaissez le prix habituel de la course… » J’avais déjà en tête d’arrondir généreusement au-dessus de toute manière. Il m’a tellement fait rigoler avec ses histoires.
Je lui ai dit que j’écoutais un peu Hendrix et les Stones évidemment et que c’était sympa d’écouter des trucs du même style qui sont en fait aussi bien mais qui sont un peu moins restés dans la légende. « Ah vous savez, Alvin Lee, Hendrix, tout ça c’est ce qu’on appelle toujours des ‘Guitar Heroes’. » Il prononçait bien les ‘R’ à l’américaine.  « Ce sont tous des légendes. Ils ont marqué l’histoire. Tiens ! Comme vous aimez bien ce style, je vais vous écrire des noms d’albums. »
Je sentais que cette rencontre allait me marquer pendant longtemps, en voyant à quel point ce mec est heureux. Tu lui donne un lecteur CD, une collection de disques, des amis avec qui délirer et un endroit où danser (c'est-à-dire à peu près n’importe où selon ses normes), et il kif la vie.
On arrive finalement chez moi et il me tend le papier sur lequel il avait soigneusement écrit quelques grands noms de la guitare électrique. « Gardez le précieusement hein ? Ca vaut de l’or ça… » On sort de la voiture et je lui tends l’argent :
« Gardez tout s’il vous plait.
– Ah non ! Ah non non non !
– Si si si, je savais que ça n’allait pas vous plaire, mais j’insiste, plus qu’une course, vous m’avez offert toute une expérience. »
 « – Alors là, c’est vraiment gentil… c’était vraiment avec le cœur. Vous savez, on se foutait pas mal de notre gueule pendant un certain temps quand on disait des trucs du genre « no pollution ». On avait tellement raison que maintenant c’est « no solution » !
 Sur ce, je lui ai serré la main fermement et je lui ai fait une accolade amicale. Il m’a fait la bise et m’a fait un signe de peace and love. « Si on se recroise, vous me direz ce que vous avez pensé de la musique. »


C.F. – CC17 « La Rencontre » - Janvier & Février 2009

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