Le destin de toute société repose en grande partie sur sa capacité à s’approvisionner en ressources naturelles. Entre un Canada en plein essor qui regorge de pétrole, de poissons, et de bois, et une Sierra Leone mise à feu et à sang malgré ses richesses en diamants, les scénarii possibles sont aussi nombreux que les nations concernées.
L’impact des ressources naturelles est tout d’abord une question de cohésion nationale. L’Iran est un pays immensément riche en hydrocarbures qui n’a connu aucune guerre civile durant le 20ème siècle malgré une grande diversité linguistique, culturelle, ethnique et religieuse. La Perse fut en effet durant des siècles un empire débordant largement les frontières actuelles, maintenant un certain équilibre entre assimilation et préservation culturelle. Ainsi les territoires de l’Empire perse faisant partie de l’Irak actuel ont-ils assimilé le chiisme, sans pour autant abandonner la langue arabe. L’Iran est donc une véritable nation, dirigée depuis longtemps par un Etat centralisé reconnu comme légitime par une proportion suffisante de la population, malgré les changements de dynasties royales et de régimes qui se sont succédés. C’est tout le contraire de l’Irak, pays fictif créé de toutes pièces lors du démembrement de l’Empire Ottoman suivant la Première Guerre Mondiale. Les cas du Congo, de l’Angola, du Nigéria et de la Sierra Leone, minés par des guerres ethniques et des rebellions alimentées par les richesses naturelles, suivent un schéma similaire où l’absence d’un socle commun font des ressources une véritable malédiction.
Les ressources naturelles sont également une question de gestion et de prévoyance. Toute société, selon son niveau de savoir scientifique, a plus ou moins de recul par rapport aux stocks, aux flux, et à la consommation des ressources dont elle dépend. Au 16ème siècle des seigneurs allemands implantent pour la première fois des programmes de gestion durable des forêts. Aux 17ème et 18ème siècles les shoguns de l’Empire Tokugawa au Japon développent des mesures sophistiquées de sylviculture durable, en réaction à la catastrophe écologique ayant résulté de la déforestation des siècles précédents. Une dépendance mal gérée peut cependant conduire à l’effondrement total de la civilisation, comme ce fut le cas de l’Empire Maya ou plus récemment de la République d’Haïti, aux terres défrichées jusqu’à épuisement.
L’histoire montre ainsi qu’une société soudée gérant raisonnablement ses ressources naturelles peut vraiment s’enrichir. Qu’en est-il, cependant, du progrès social ? Les pétromonarchies arabes du Golfe persique ont vécu au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle des mutations économiques et culturelles d’une ampleur comparable à celles la Chine. Le pétrole a permis à des sociétés essentiellement pastorales de rentrer dans l’ère moderne… du moins au niveau du confort matériel de leurs citoyens. Pour ce qui est du progrès social, les 35% de travailleurs immigrés en Arabie Saoudite, et les 91% de travailleurs immigrés aux Emirats Arabes Unis sont considérés comme des citoyens de seconde zone, sans aucun droit au regroupement familial ou à la propriété. Le progrès économique n’a pas été accompagné par la liberté d’expression, la liberté religieuse, ou encore le droit des femmes. Si les ressources naturelles sont intimement liées au destin économique d’une société, elles sont sans grand rapport avec les libertés individuelles, qui sont davantage un problème culturel.
Dans ce monde de plus en plus connecté, toutes ces analyses au niveau national sont obsolètes. Le 21ème siècle sera celui où l’espèce humaine déterminera si oui ou non elle est capable de maintenir une croissance économique et une gestion démographique durables. D’un côté, notre compréhension des phénomènes naturels, la conscience écologique citoyenne, et notre savoir technologique et scientifique sont des atouts puissants en vue des défis à venir. D’un autre côté, le niveau de vie auquel nous nous sommes habitués et la taille qu’a atteinte la population mondiale rendent les enjeux très sérieux. Les conséquences d’un échec seraient dramatiques.
Si certaines ressources comme le cuivre ou le zinc ne poseront pas de problème avant longtemps, d’autres comme le pétrole, le bois, et le poisson présentent des cas inquiétants. La panique des années 70 autour des crises du pétrole a récemment rejailli avec un prix du baril en constante augmentation, principalement en raison de la demande des pays émergents. Toute la production manufacturière et agricole, donc tous les fondements de notre civilisation, reposent, entre autres, sur un pétrole bon marché. La recherche sur les énergies renouvelables est notre seule chance.
Concernant le bois, chaque année dans le monde la surface forestière défrichée est équivalente à celle du Royaume-Uni. Entre 1990 et 2005, le Nigéria a perdu 79% de ses forêts, les Philippines 90%. Tous les pays développés ont des programmes de protection des forêts, mais ont exporté leur déforestation vers les pays en voie de développement. L’inquiétude sur le poisson est plus récente et date des années 90. Une étude scientifique publiée en Novembre 2006 par le journal américain Science révèle qu’un tiers des stocks de poisson à travers le monde se sont effondré (un effondrement est défini comme un déclin en dessous de 10% du stock maximal jamais observé). Si la tendance actuelle devait se perpétuer, toutes les réserves de poissons au monde seront vidées d’ici 2060. Le bois et le poisson sont des cas typiques de « Tragédie des biens communs », concept désignant une situation où l’accès commun à des biens pousse chaque agent à l’exploitation maximale à court terme pour empêcher les autres de faire de même. La privatisation des ressources pourrait pousser chacun à adopter une gestion plus durable.
Un monde de pénurie mène toujours au conflit. La situation actuelle ferait d’un tel conflit la plus grande chute de civilisation jamais observée dans l’histoire, car nous partons de très haut. Il nous est impossible de sortir du cycle du « produire plus et consommer plus », la base même de notre société, ce à quoi nous devons tout. Notre avenir dépendra donc d’une part du progrès scientifique, d’autre part de la capacité de « l’économie verte » à ouvrir de nouvelles opportunités sur le marché et à redéfinir notre conception même de la valeur.
C.F. – CC4 «Vice & Vertus» – Septembre 2007
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