Départ à Londres…
Départ à Londres dans une heure. Londres, ma ville chérie ; Londres cette ville splendide. Pour rien au monde je ne lâcherai Londres (à part pour la proie, naturellement). L’architecture, bien entendu, et les grands parcs. Les palais royaux. Le climat. Les horloges géantes. La gastronomie, si réputée. Les attentats. Mais surtout, surtout : les Anglaises, sans lesquelles Londres ne serait rien. Les Anglaises ressemblent pourtant beaucoup aux autres êtres humains femelles; à ceci près qu’elles présentent une différence morphologique majeure. Les Anglaises sont en effet les seules homo sapiens à porter des minijupes en toutes saisons, y compris pendant les hivers glaciaux. Amour immodéré de l’exhibition, ou haine invétérée du tissu ? Vaste question. Les querelles d’interprétation, ou simplement terminologiques, ne sont d’ailleurs pas tranchées. Par exemple, nos meilleurs experts nationaux n’ont pas encore réussi à se mettre d’accord sur la question : faut-il parler de mini-jupes très courtes, ou de ceintures un peu larges ? Enfin, passons.
Matin – Arrivée Gare du Nord
J’ai toujours pensé que la Gare du Nord n’était pas le bon endroit pour partir vers Londres. Un aller-retour Gare d’Austerlitz – Waterloo Station eût été bien plus amusant, mais la topographie parisienne se prête peu à ce genre de trajets, sauf à faire de grands détours ; enfin, passons. Ceci dit la Gare du Nord à ses avantages. Je suis sûr que vous, par exemple : vous payez des musées, du genre dix euros pour voir sourire une quelconque Joconde âgée de quelques siècles. Cependant, la Gare du Nord est beaucoup plus impressionnante : pour zéro euros, j’ai bien dit zéro, vous pouvez vous faire une plongée dans le passé d’au moins un millénaire et demi ! Oui, vous avez bien entendu : 1500 ans. Car le sol de la Gare du Nord le matin, juste avant le nettoyage par les hommes verts (des agents d’entretien évidemment, pas des martiens), est le seul endroit vous offrant un fidèle et saisissant instantané des Champs Catalauniques après le passage des hordes d’Attila. (Réflexion faite, il n’est pas sûr que les cavaliers Huns jetaient des emballages de Big Mac, mais enfin, passons).
La flore et la faune de la Gare du Nord ne se limite pas aux vers grouillant dans les morceaux de steaks jonchant le sol. Il y a aussi les SDF et les gitans gisant devant le parvis, près de l’entrée. Et puis quelques rongeurs, près des rames ; des chiens perdus, près des quais – la Gare du Nord est d’ailleurs le seul endroit où ce sont les chiens qui glissent sur les crottes des gens ; ce qui n’est que justice après tout. Des fonctionnaires de la SNCF endormis, près des guichets. Des cadres pressés et bien mis, jouant ostensiblement avec leur Blackberry, en vain : ils ne se doutent pas que la somptueuse blonde à forte poitrine en face – celle qui, en vérité, semble dégager davantage de chaleur que de lumière - ne fait pas la différence avec une calculatrice ou une Playstation portable.
Et puis, beaucoup de Français, de toutes les couleurs : brun, marron, bronze, châtaigne, chocolat, ébène. Etonnant : il
reste encore des gens issus des « minorités visibles » qui ne sont pas encore entrés au gouvernement ! Enfin, passons.
Départ TGV
Départ sans histoires, hormis deux enfants affreux qui braillent sans cesse. L’idéologie post-soixante-huitarde interdit les châtiments corporels : parfois, on en vient à penser que c’est bien dommage. Un petit creux ? Vite, au wagon-bar – celui qui se trouve systématiquement à l’opposé du train. Ouf, il reste des sandwichs à 19 € 90. Soit compte tenu du volume réduit de la chose, à peu près 2 € par calorie. Comme le caviar…qui a dit que la France était l’URSS ? Jugement excessif. L’épaisseur du sandwich SNCF ne dépasse certes pas celle des hanches d’un enfant Darfuri, mais on est encore loin du sandwich soviétique,
C’est-à-dire le fameux « ticket de jambon entre deux tickets de pain ». Doux pays ! Enfin, passons.
Arrivée TGV
Le trajet dure 2h10. Pendant les deux premières heures, on cherche vainement le sommeil, les deux braillards de derrière
n‘ayant toujours pas été torturés comme ils le méritent. On finit en général par le trouver, sauf que dans les trois cent secondes suivantes, une voix au micro nous réveille : « dumdum-dum ! Nous arrivons à Londres ». Aussitôt, c’est le drame, le Blitz, la cohue. Inutile d’expliquer à ces gens qu’il leur reste cinq bonnes minutes pour décharger le portebagages (tout en respectant la somnolence des autres) : il faut qu’ils soient les premiers à descendre leur valise, alors que le TGV est en pleine lancée. Bousculade générale, grognements divers. Un voyageur fait involontairement tomber sa valise sur la tête d’un des deux gamins susmentionnés : il y a des saints hommes partout ! Enfin, passons.
Le train finit par s’immobiliser. Alors que l’on s’apprête à passer, premier obstacle : une ravissante jeune fille approche, par exemple la blonde de tout à l’heure. «Allez-y mademoiselle», semble t-on indiquer d’un regard condescendant. Sourire de la demoiselle, remerciement craintif, passage de la donzelle : ce moment de domination vaut bien les cinq secondes d’attente supplémentaires. Mais alors que l’on s’apprête à s’engager à sa suite, d’abord parce que c’est notre tour, ensuite pour fixer le haut du string dépassant d’un jean un peu trop bas, surgit une petite vieille. Rebelote. Tant pis pour le sous-vêtement (quoique quelques vieilles en portent également, mais c’est bien plus rare). Puis c’est un gamin que l’on manque tout juste d’écraser en voulant s’engager. On le laisse donc passer. Vient alors une poussette, un athlète pressé et patibulaire, un obèse, deux siamois, un bandit, un grabataire, un RMIste. Et là, plein de lassitude, c’est l’ensemble du wagon qui défile devant nous ; tant pis pour le sac lourd que l’on s‘échine à conserver à l’épaule. Après d’interminable minutes, le wagon est dégagé : ouf, plus personne ! La voie est libre : passons, enfin !
S.D. – CC3 « Les Vacances» – Août 2007
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