Peut-on être un loser-né et pourtant devenir une superstar ?
Pour une raison parfaitement inexplicable, cette question m’a longtemps taraudée. Les contes de fées de notre enfance sont remplis de prince-crapauds, de cochons terrassant des loups, de gentils ogres devenant rois (enfin, cela est un peu plus récent, mais passons). Mais dans la vraie vie, rien de tel.
Rien de tel, vraiment ? L’industrie du jeu vidéo nous donne l’occasion de nous pencher sur un merveilleux contre-exemple.
Shigeru Miyamoto connut en effet une jeunesse difficile. Enfin lunatique, solitaire, ≪ artiste ≫ dans tous les sens du terme, aimant vagabonder dans la nature, rien ne le prédispose à réussir sa vie professionnelle. De fait ses études – laborieuses - de dessin industriel ne seront guère qu’un prétexte pour qu’il se livre à sa véritable passion : le dessin.
Le cancre Miyamoto préfère en effet esquisser en cachette des paysages oniriques plutôt que d’écouter ses professeurs, ce qui lui vaut de connaitre les pires difficultés à trouver un emploi. Ses principales réalisations se limiteront, pendant quelques années, au design de porte-manteaux : réalisations nobles, naturellement, mais peu propices à l’épanouissement artistique du jeune Miyamoto.
C’est finalement par ≪ papa ≫ que viendra la solution. Hiroshi Yamauchi, président de Nintendo, est en effet un ami du père de Miyamoto. Et c’est ainsi que Yamauchi intégrera ce qui n’est encore qu’une petite société de carte à jouer, désireuse de s’investir dans le secteur naissant des bornes de jeu vidéo.
Le poste de Miyamoto n’est pas clairement défini ; ce dernier a été engage en tant qu’ ≪ artiste≫. Les ingénieurs le regardent comme un pistonne, un planqué, un parasite en un mot.
Cependant, le salut et la promotion viendront des déboires de Nintendo. Aux Etats-Unis, la filiale locale organise l’importation et la commercialisation massive d’un clone du fameux Space Invaders, Radar Scope. Comme il est coutume à l’époque, le jeu consiste a la fois dans une borne et dans un logiciel intégré. Mais les dépassements de délais, les retards de livraisons, la concurrence de jeux plus performants sur le même concept rendront vite le produit invendable : en 1981, la filiale américaine de Nintendo est au bord du gouffre financier. Yamaguchi ordonne a ses troupes, prises de court, de mettre au point très rapidement un nouveau jeu, susceptible de relancer les ventes de ces bornes Radar Scope et de sauver la ≪ Nintendo of America ≫. Or Miyamoto est le seul disponible. Bien que totalement novice dans le domaine de la programmation, il développe alors un jeu particulièrement créatif, Donkey Kong, ou s’affrontent un plombier italien et un méchant gorille amateur de bananes et de jeune filles…
Les personnages de Kong et de Mario, puisque c’est de lui qu’il s’agit, déplaisent fortement aux ingénieurs de Nintendo : l’un d’entre eux posera même sa démission…
A l’heure des vaisseaux spatiaux et des jeux de tir (les fameux space invaders), nul ne parie sur cet univers ridicule. Le projet Donkey Kong frôle la mise au placard, mais les bornes Radar Scope ne se vendent toujours pas. Finalement, grâce a l’appui de son mentor Yamaguchi, le jeu a peine finalise est expédie en quatrième vitesse aux Etats-Unis, pour remplacer le programme RadarScope sur les bornes éponymes.
Ce jour-la, la vie de Miyamoto bascula. Car Donkey Kong fut un succès considérable, et en moins de deux jours, le stock de bornes est écoulé. Tant et si bien qu’il fallut licencier le jeu (ou plutôt les personnages, le scenario, l’univers) a d’autres acteurs du marche du jeu vidéo. La fortune de Miyamoto était faite. Quelques années plus tard, les dizaines de jeux ou apparaitront Mario et Donkey Kong auront séduits des millions de consommateurs. Miyamoto ne s’arrête pas la. Zelda, c’est lui ; la Nintendo DS, c’est aussi lui ; enfin, la Wii (oui, la Wii !) c’est aussi lui ! Bien qu’il travaille évidemment aux cotes de plusieurs centaines de développeurs, ingénieurs, designers, Miyamoto est reste au cœur du dispositif Nintendo, jusqu'à nos jours. Il faut dire que Miyamoto est un perfectionniste : bourreau de travail, ultra-perfectionniste, il n’hésite pas à retarder des jeux considérés imparfaits de plusieurs mois, voire d’un a deux ans. Une hérésie dans une industrie ou la prime au premier entrant est importante : mais Nintendo ne peut rien refuser au principal responsable de sa réussite.
Car dans le succès récent de Nintendo, il n’y aura guère eu que les Pokemon qui ne furent issus de son redoutable esprit ; et encore, l’auteur de ces petits monstres n’est autre que l’un de ses disciples….
Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, récipiendaire de multiples récompenses internationales, Miyamoto se rend toujours en vélo au siège de Nintendo. Il préfère jouer en famille (a des jeux vidéo, comme il se doit) à toute autre activité. Il semblerait qu’il n’ait rien perdu de sa démarche d’adolescent timide et rêveur.
Vous avez bien dit loser ?
S.D. - CC2 « Le Jeu» – Juillet 2007
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