Paru en 1949, Nineteen Eighty-Four de George Orwell n’a pas mis longtemps à figurer parmi les plus grands classiques de la littérature mondiale. Bien que l’œuvre soit référencée à tout bout de champ dans les conversations de la vie de tous les jours, nombreux sont ceux qui ne l’ont pas lu. Tout le monde connait vaguement le thème : une société totalitaire ou l’hyper-surveillance, la propagande, et le conditionnement intensifs permettent au système de se perpétuer. Il serait dommage de s’arrêter la, car dans le détail le roman est ensorcelant.
Le meilleur passage est le chapitre 9, ou le héros, Winston, lit le Livre d’Emmanuel Goldstein, légende vivante de la Resistance, qui démonte avec froid et habileté les mécanismes de la société.
Pour résumer, la civilisation est toujours stratifiée selon trois niveaux : le Haut, le Milieu, et le Bas. Les proportions et rapports entre ces différents niveaux, et les termes employés pour les designer évoluent, mais la structure reste toujours la même. Le Haut a pour but de se maintenir au pouvoir. Quatre menaces pèsent sur son hégémonie : une conquête de l’extérieur, une montée en puissance du Milieu, une révolte du Bas, et une décadence ou un manque de volonté au sein même du Haut.
Une conquête de l’extérieur n’est ni possible, ni d’ailleurs désirable pour que ce soit. Le monde de 1984 est divise en trois super-Etats. La guerre entre elles est perpétuelle, mais implique très peu de monde. La guerre est tout d’abord un outil pour détourner l’attention du peuple et canaliser ses instincts haineux envers l’étranger. Aucun super-Etat n’a envie de conquérir les territoires des autres : en assimilant les populations conquises les peuples deviendraient amis et verraient qu’il n’y a aucune raison de se détester. Le combat se déroule en fait sur un no man’s land s’étendant de l’Afrique au Moyen-Orient, territoires changeant sans arrêt de main. Lorsqu’il gagne un territoire le colon exploite la main d’œuvre locale pour conquérir de nouveaux territoires, dont il exploitera de nouveau la main d’œuvre, et ainsi de suite. Au final les trois puissances se neutralisent, et n’ont en réalité nullement besoin des ressources de ces territoires pour s’organiser. Leur rêve secret est d’entourer un jour l’ennemi et de lancer une attaque nucléaire rendant impossible toute riposte, mais aucun des trois super-Etats ne sera jamais en mesure d’appliquer un tel plan.
L’objectif principal de la guerre est le même pour les trois Etats. Leur idéologie, bien que portant des noms différents (Ingsoc pour l’Océanie, néo-Bolchevisme pour l’Eurasie, néo-Bouddhisme pour l’Asie), a le même but : maintenir le Haut au pouvoir. Le Haut, bien qu’il maintienne le Bas dans l’ignorance la plus totale, et surveille de prés le Milieu (qu’il faut bien éduquer un minimum pour faire fonctionner la Bureaucratie, par exemple en écrivant des articles de propagande) est bien conscient des mécanismes de l’Histoire : l’accumulation de richesses permet au Milieu de renverser le Haut. Pour pallier au problème, il faut limiter les richesses, mais tout en gardant le peuple occupe. C’est là tout l’objet de cette guerre mondiale artificielle : tout ce qui est produit est au bout du compte détruit. Une main d’œuvre qui pourrait fabriquer un million de paires chaussures produit a la place un avion qui sera détruit lors d’un combat. Dans chaque super-Etat le Haut y trouve son compte.
Toute la puissance créatrice des super-Etats se focalisent sur la guerre et sur la surveillance. Dans tous les autres domaines d’innovation le monde est depuis longtemps en régression. L’élite intellectuelle est composée d’un cote de chimistes, de stratèges, et d’ingénieurs cherchant a fabriquer les armes les plus mortelles qui soient (les projets les plus farfelus et les plus irréalisables s’enchainent sans vraiment donner de résultats), d’un autre cote de psychologues, d’éducateurs, d’ingénieurs en télécommunications, et de linguistes qui traquent les contrevenants au système. La langue est simplifiée au maximum pour abrutir le peuple et le conditionner des la plus petite enfance. Elle s’articule autour du concept de DoubleThink, indiquant une capacité à accepter simultanément une idée et son contraire, mettant ainsi en veilleuse tout esprit critique. Ce concept se retrouve dans la composition même du gouvernement : le Ministère de la Paix se charge de la guerre, le Ministère de l’Amour se charge de la torture et de la répression, le Ministère de la Vérité s’occupe de mentir au peuple et de refaire régulièrement l’Histoire, et le Ministère de l’Abondance s’occupe des affaires économiques dans une société de plus en plus précaire.
Le chapitre fascine par son expose des dispositifs de contrôle de la population. On ne peut bien sur s’empêcher d’établir des parallèles avec des sociétés réelles. La prophétie d’Orwell, si elle ne se réalisera jamais dans les détails (et ce n’est d’ailleurs pas le but de l’auteur), reflète des mécanismes sociétaux impérissables. Son récit (très conceptuel) de l’Histoire évoquera a chaque lecteur des événements différents (la révolte du Bas rappelle la Révolution du Prolétariat de 1917 ou encore les révoltes des esclaves sous l’Empire Romain ; l’accumulation de richesse et la montée en puissance du Milieu évoque notamment le renversement de la noblesse et du clergé en Europe par la Bourgeoisie).
L’œuvre, et notamment le chapitre IX, a cela de remarquable qu’il ne nous apprend pas grand chose mais donne un sens et une structure a ce que l’on sait déjà.
C.F. – CC2 « Le Jeu» – Juillet 2007
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire