mardi 1 février 2011

Cinémons - Le Vivarium

«Que deviennent des acteurs sans texte ni scénario?», c’est la question contenue dans l’avertissement qui précède Le Vivarium, film d’un réalisateur sorti de nulle part, et qui à l’instar de son contemporain Jean-Luc Godard, et de beaucoup d’autres réalisateurs français de la Nouvelle Vague, a décidé de se poser la question:«qu’est-ce que le cinéma?».

Pause-contexte: André Malraux, ministre de la Culture en 1968, décide de remercier Henri Langlois, fondateur et directeur de la Cinémathèque, pour y installer un de ces amis à sa place, et garder ainsi un œil sur la programmation. Grande indignation dans au sein de l’intelligentsia de gauche, et surtout, on s’en doute, parmi les cinéastes, et c’est toute la Nouvelle Vague qui se retrouve dans la rue, à scander des slogans faisant échos à ceux des étudiants ou des ouvriers. A la suite des ces évènements, on assista, la larme à l’œil (par émotion, désespoir ou conjonctivite), à la naissance des débats stériles sur le sens et l’avenir de la culture. On m’excusera ce dernier pléonasme. Et les démonstrations de certains cinéastes contre cette certaine idée de la culture et de son commerce ne se firent point attendre. Pour Jacques Richard, ce fût celle d’une pellicule volontairement gâchée comme il le revendiqua lui-même, et la déconstruction du cinéma pour mieux le définir.

Il décide donc de placer le tout jeune Fabrice Luchini dont la voix commençait à muer, le caverneux Michel Lonsdale, et la ténébreuse chanteuse Catherine Ribeiro devant sa caméra. Ils attendent consciencieusement des consignes… et finissent par comprendre, mi-amusés, mi- décontenancés, que Jacques Richard est en train de les abandonner l’air de rien. «Tu veux qu’on reste comme ça pendant trente minutes?» demande timidement Fabrice, «Et ben si c’est ça faire du cinéma, moi je veux bien en faire tous les jours…» lance Catherine, et c’est dans une ambiance faussement bon-enfant et, il faut bien le préciser, légèrement tendue des deux côtés de l’écran, que la blague se prolonge… peut-être un peu trop. Les trois acteurs évoluent parmi quelques figurants dans une salle blanche et nue; la peur du vide les incite à inventer eux -même leur propre rôle, et à improviser plus ou moins adroitement. Cela s’épuise vite, ils se réfugient alors dans les banalités et ne cessent de répéter qu’ils sont bien, «coolos» comme disait le très jeune Fabrice. Catherine est la première à lâcher prise et disparaît peu à peu de l’écran. Michael et Fabrice sont satisfaits car ils ont appris, disent-ils, à trouver de «l’intéressant dans l’inintéressant»…

Et la chute dans tout ça? Serait-elle la grande absente du film? Alors c’est ça le cinéma de la Nouvelle Vague selon Jacques Richard? De l’intéressant dans de l’inintéressant? C’est un peu court… Et même si c’est, selon le dicton, la caractéristique essentielle d’une bonne blague, celle-ci s’est avérée inefficace par sa lourdeur et sa vacuité. L’idée d’une interrogation du cinéma par le cinéma n’avait rien d’original, surtout à cette époque. Jacques Rivette s’y était déjà collé et a, jusqu’à présent, passé sa carrière à tenter d’y répondre. Ca a donné des monuments injustement méconnus ou méprisés comme le déroutant Out 1: Spectre version courte de 4h30 du chef d’œuvre d’improvisation Noli me tangere de la durée d’une demi-journée. Jean-Luc Godard lui même n’a pas cessé de se poser la question du cinéma dans tous ces films, et avait même été jusqu’à  attribuer au grand Samuel Fuller, guest-star de Pierrot le Fou, le privilège d’articuler un début de réponse. En un mot, l’humour de ce film réside dans la régression globale et permanente qui le caractérise, il n’y a aucun propos, mais que des anecdotes difficilement trouvées par ces pauvres acteurs, pour meubler l’espace vide. Aussi, confrontés à ce chômage technique, ils se laissent gagner par une insouciance infantile et jouent naïvement avec les mots et leur corps. Si l’on devait se donner une seule raison de voir ce film, et je m‘adresse autant aux fans qu‘aux détracteurs de Fabrice Luchini, c’est d’aller admirer sa dégaine d’ado pré-pubère excité, qui donne la profondeur manquante à ce film, par une mise en abyme de blague dans la blague.

De Jacques Richard (1976), avec M. Lonsdale, F. Luchini, C. Ribeiro

E.C. – CC5 « L’Humour» – Octobre 2007

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